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– Vendredi 19 janvier 2018 à 17 heures. Assemblée Générale de la SSAAL. Vendredi de Véra. Conférence de M. Levasseur.

Assemblée Générale de la SSAAL. Un Vendredi de Véra. : Le fonds Lefevre de la Bibliothèque Municipale de Lille.  Conférence de M. Levasseur :

Finance et Responsabilité sociale des entreprises :

le regard de la recherche académique

Michel Levasseur, Professeur Emérite, Université de Lille et Université catholique de Louvain

Si on se réfère à la pensée de celui qui a largement inspiré la théorie financière de ces 75 dernières années, à savoir Milton Friedman, les questions de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises sont étrangères à la gestion financière. Ne déclarait-il pas :  «There is one and only one responsibility of business : to use its resources and engage in activities designed to increase its profits so long it stays within the rules of the game. » En ce sens, il n’est pas évident qu’il y ait une place satisfaisante du point de vue financier pour une politique de responsabilité sociale à l’échelle de l’entreprise au sens où l’entend par exemple la Commission Européenne : « Une entreprise est considérée comme socialement responsable lorsqu’elle se donne, dans le cadre de ses activités quotidiennes, des objectifs sociaux et environnementaux plus ambitieux que ceux prévus par la loi. » Toutefois, force est de constater que la plupart des entreprises cotées en bourse affichent une communication visant à mettre en évidence les efforts particuliers qu’elles déploient en ce domaine. La première question abordée ici est la suivante : ces politiques de RSE sont-elles compatibles avec l’efficacité financière ? Nous nous interrogerons ensuite sur d’autres déterminants qui ne répondent pas à la recherche stricte de la performance financière, comme les ambitions personnelles des dirigeants par exemple. Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur les résultats fournis par des études empiriques récentes publiées au cours de ces dernières années dans des revues scientifiques de premier plan.

 

1. Un intérêt financier bien compris

Il est courant de définir la valeur d’une entreprise pour ses actionnaires comme la somme des flux de fonds qu’elle sera susceptible de générer à l’avenir, actualisés c‘est-à-dire en prenant en compte le coût des capitaux qu’elle doit mobiliser. Plus simplement, la valeur d’une entreprise augmente quand elle est capable d’améliorer sa productivité et de saisir des opportunités de croissance rentables. Mais elle augmente aussi quand elle peut diminuer le coût de l’argent qu’elle utilise pour financer ses activités. C’est donc en jouant sur ces deux leviers qu’elle accomplit au mieux sa mission au plan financier. Une entreprise dispose d’une panoplie de moyens de financement qui peut être variée mais qui comprend le plus souvent un apport en capitaux propres et un recours à l’endettement. La RSE peut contribuer à l’accomplissement des objectifs financiers d’une entreprise si elle permet de réduire le coût de ses financements.

1.1 Réduire le coût des financements

Deux études récentes abordent la question des effets de la RSE sur le coût des dettes d’une part et sur le coût des fonds propres d’autre part. Le premier effet est plus direct à observer puisque le coût de la dette comprend les intérêts payés et une somme de commissions diverses. Le second est plus délicat à observer. Il ne peut être qu’inféré à partir de l’observation de cours boursiers.

a) Une baisse du coût de l’endettement

On peut penser qu’une entreprise respectueuse de principes éthiques en matière environnementale ou sociale se construit pas à pas un capital de réputation connu des tiers et en particulier des banques qui la finance.  Ce capital de réputation est source d’une confiance accrue de la part des prêteurs. Les entreprises privées sont des emprunteurs à risque. Les banques le savent et cherchent à réduire leurs expositions aux plus fragiles. Elles cherchent également à contrebalancer les effets négatifs des pertes qu’elles ne peuvent pas éviter en améliorant leurs rémunérations auprès des clients qu’elles jugent les plus fragiles. Dans le jargon financier, le surcroît de rémunération qu’elles obtiennent relativement au taux qu’elles peuvent obtenir en investissant dans des actifs financiers peu risqués comme des emprunts d’états particulièrement solvables est désigné sous le terme de spread. Kim, Surroca et Tribo (2014) s’intéressent à un échantillon de 513 firmes situées dans 19 pays sur la période 1998-2007 ayant réalisé un total de 2 535 prêts bancaires. Ils montrent que le spread moyen d’un emprunt est dans leur cas de 78,6 points de base (un point de base vaut 0,01%, par exemple quand un taux passe de 1,87% à 1,88%, il augmente d’un point de base). Plus remarquable, ils estiment qu’une augmentation d’un écart‐type du score d’éthique de l’emprunteur à partir de la moyenne correspond à une diminution de 24,8% de ce spread. Etre exemplaire en matière de RSE est donc parfaitement bénéfique au plan financier ! De plus, ils soulignent que lorsque les banques elles-mêmes sont actives en matière de RSE, la baisse du spread est alors de 37,6%. L’effet de confiance est encore plus marqué.

b) Une baisse de la rentabilité exigée sur les capitaux propres

Il est plus délicat d’invoquer la notion de coût des fonds propres. Contrairement aux prêteurs, les actionnaires ne peuvent pas prétendre à une rémunération fixée à l’avance. Leurs droits sont résiduels : ils ne touchent par exemple de dividendes que si l’entreprise réalise des profits et si elle dispose de la trésorerie nécessaire. Ceci étant, la finance ne regarde que le futur et quand un investisseur achète une action, c’est bien qu’il espère réaliser une opération profitable. Cette attente de rentabilité que ne devrait pas décevoir l’entreprise peut être considérée comme une forme de coût : une participation au capital est à la fois un placement pour l’un (l’actionnaire) et un moyen de financement pour l’autre (l’entreprise), ce qui est rentabilité attendue pour l’un est donc coût requis pour l’autre. La participation au capital d’une entreprise, petite ou grande, est toujours aléatoire. La rentabilité n’est pas promise, elle fluctue au gré des performances. On peut raisonnablement penser que plus l’incertitude est élevée, plus en compensation l’attente de performance est grande. Ce lien entre rentabilité et risque est fondamental en finance. Aussi, Ng et Rezaee (2014) l’exploitent dans leur étude portant sur plus de 3 000 firmes américaines entre 1991 et 2013. Leur hypothèse de départ est que l’incertitude qui pèse sur les résultats futurs dépend tout à la fois de facteurs économiques et de facteurs liés à la RSE. Plus la performance économique de l’entreprise prend une forme soutenable sur le long terme, plus son risque est faible. Mais aussi, plus elle adopte un schéma de croissance durable et une performance environnementale et sociale élevée, plus son risque également est faible. Les auteurs attendent par ailleurs une interaction significative de ces deux effets. Ils estiment la rentabilité attendue pour des sociétés cotées en bourse à travers une relation entre les bénéfices et les cours boursiers. Leur étude conforte leur intuition. Selon eux, les firmes les plus fortes en opportunités de croissance  et en recherche ont un coût du capital plus faible. Les firmes les plus actives en matière d’environnement et aux meilleures gouvernances ont aussi un coût du capital plus faible. En conséquence, la performance sociale renforce l’effet de baisse du coût du capital pour les entreprises les plus performantes économiquement.

1.2 Un effet positif sur les flux de fonds attendus

Un effet positif de la RSE sur la valeur actionnariale d’une entreprise ne vient pas seulement d’une diminution des coûts de financement. Elle peut provenir aussi d’une amélioration des flux de fonds attendus. A ce niveau, deux effets favorables sont envisageables : des flux espérés plus élevés et un moindre risque sur l’exploitation future.

a) Une espérance de gains plus grande

Il n’est pas facile de mettre en évidence un lien de causalité entre de bonnes pratiques en matière de RSE et un accroissement des performances espérées. Un test qui se bornerait à mettre en évidence une association entre ces deux variables ne permettrait pas de conclure. On ne peut guère dans ce domaine multiplier les expériences en faisant varier le niveau de RSE et en observant directement les effets sur les valeurs. Pour contourner cette difficulté, Deng, Kang et Low (2013) exploitent un cadre empirique original. Ils étudient 1 556 opérations de fusion-acquisition impliquant 801 firmes acheteuses sur la période 1992-2007 aux USA. Lorsqu’une entreprise tente de prendre le contrôle d’une autre, c’est dans l’espoir d’accroître la valeur de cette dernière en exploitant en particulier un ensemble de synergies. Cette création de valeur espérée se reflète dans la hausse du cours boursier de la cible à l’annonce de l’opération. L’idée de ces auteurs est que si la RSE affecte positivement les performances attendues, alors les augmentations des cours des cibles au moment de l’annonce doivent être plus marquées quand l’indice de RSE de l’acquéreur est plus élevé. Concrètement, ils mesurent ces changements de valeur à travers la performance du cours de la cible entre la veille et le lendemain de l’annonce de l’opération, en ajustant cette variation des effets du mouvement général du marché. Au plan méthodologique, il reste que l’observation d’un lien entre l’importance de ces variations corrigées de cours (ou encore dites rentabilités anormales) et l’indice de bonne pratique de RSE ne permettrait en rien de conclure sur un éventuel lien de causalité. Les deux pourraient dépendre d’un même facteur latent qui les ferait varier dans le même sens. Par exemple, les firmes les plus grandes auraient une faculté plus grande de mettre en œuvre de bonnes pratiques de RSE et auraient aussi accès aux acquisitions les mieux remplies en synergies potentielles, sans qu’il y ait le moindre lien entre la RSE et ces dernières. Pour contourner cette difficulté, les auteurs exploitent un lien entre le niveau de pratique en matière de RSE et un facteur parfaitement exogène à la qualité des opérations de fusion-acquisition. Ils utilisent comme premier « instrument » l’intensité de la pratique religieuse dans l’état où la firme a son siège social et comme deuxième la couleur politique dominante dans cet état. Ils génèrent ainsi un indice de RSE estimé qui fluctue dans l’échantillon en fonction uniquement de l’une ou l’autre de ces variables exogènes. Ce faisant, ils montrent que la création de valeur à court terme pour les actionnaires est plus élevée quand la firme acquéreuse a un indice élevé de RSE. Ils complètent leur étude en mettant en évidence que les firmes à RSE élevée améliorent plus fortement les rentabilités à long terme des firmes acquises.

b) Un risque plus faible de crash

L’exploitation courante au sein d’une entreprise recèle parfois des risques extrêmes. On peut rappeler à titre d’exemple les pertes colossales enregistrées par BP lors de la catastrophe qui s’est produite dans le golfe du Mexique. Le crash boursier est un élément de risque important pour les investisseurs lorsqu’ils composent leur portefeuille. On peut penser que les entreprises actives en matière de responsabilité sociale sont aussi les plus prudentes dans la gestion de leurs opérations et de ce fait exposent moins leurs actionnaires à des vicissitudes extrêmes. Kim, Li et Li (2014) testent dans leur étude une première hypothèse, à savoir qu’un indice de RSE élevé est un signal fort de risque de crash faible. Mais, la question ne s’arrête pas là. L’information concernant la responsabilité sociale de l’entreprise n’est qu’un volet de l’information financière donnée par l’entreprise. Elle peut même servir d’alibi et de cache misère. Dans ce cas, et c’est la deuxième hypothèse testée par les auteurs, ce serait les firmes les plus exposées à de gros risques qui seraient les plus actives en matière de communication sur la RSE car elles chercheraient à les dissimuler ainsi au marché. Pour mesurer le risque de crash, les auteurs recourent à une statistique propre à la distribution des variations de cours boursiers. La présence de chutes brutales de cours se traduit sous la forme d’une asymétrie négative de ces distributions (présence anormalement élevée de fortes variations négatives). Munis de cette mesure, ils s’attachent à estimer le degré d’association entre ce coefficient d’asymétrie, mesure de risque de crash, et les indicateurs de RSE. Leur échantillon comporte 12 978 observations et porte sur deux périodes haussières (1995-1999 et 2003-2007) et deux périodes baissières (2000-2002, éclatement de la bulle internet et 2008-2009, la grande crise). Ils montrent que la qualité de la RSE est associée à une fréquence moindre de crash et que cet effet est plus marqué pour les entreprises à gouvernance faible. Par ailleurs, ils complètent leur analyse en soulignant que les dirigeants des entreprises vertueuses en matière de RSE ont moins tendance à cacher les mauvaises nouvelles !

 

2. Mais aussi le fruit d’autres attentes

Si des dépenses non obligatoires en matière de RSE ne vont pas nécessairement à l’encontre des intérêts financiers bien compris de l’entreprise, il reste à savoir s’ils ne sont pas le fruit de choix effectués par les dirigeants, pour satisfaire non pas seulement leurs actionnaires mais aussi d’autres parties, à commencer par eux-mêmes.

2.1 Des choix effectués par les dirigeants

Un dirigeant d’entreprise est incité à investir dans les domaines de la responsabilité sociale d’entreprise s’il sait que ces activités sont créatrices de valeur et donc favorables aux actionnaires. Est-il motivé par des raisons plus personnelles : satisfaction d’objectifs altruistes et volonté de contribuer positivement à la vie de la société ? Souci de se construire une bonne réputation aux plans professionnel et personnel ? Ou encore obéit-il à des principes forts d’éthique personnelle ?

a) à la poursuite de leurs satisfactions

Borghesi, Houston et Naranjo (2014) ne s’attendent pas à ce qu’une seule raison une puisse jouer un rôle prédominant. La décision de consacrer des ressources à la réalisation d’objectifs de RSE peut être simultanément influencée par plusieurs facteurs. Exploitant un échantillon de 11 711 observations composé de firmes américaines observées entre 1992 et 2006, ces auteurs montrent que les investissements en RSE s’adaptent aux besoins et aux caractéristiques des firmes. En ce sens, rien n’est a priori contradictoire avec une recherche de l’intérêt des actionnaires. Encore que, là où les institutionnels sont les plus forts, l’effet est négatif sur la RSE. En d’autre terme, quand le contrôle et la gouvernance sont plus faibles, quand il y a plus de latitude pour les dirigeants, les dépenses sont plus grandes. Par ailleurs, ils mettent en évidence le poids respectif de diverses caractéristiques des dirigeants dans leur choix en matière de RSE. Ce sont les PDG (CEO) les plus jeunes, femmes, bipartisans au plan politique et sensibles aux médias qui investissent le plus. Ces comportements n’apparaissent pas seulement comme purement altruistes mais elles sont aussi dictées par des intérêts personnels. Plaire aux politiques, renforcer son image dans les médias font partie du tableau.

b) en fonction de leur éthique

Ceci ne signifie pas pour autant que les considérations d’éthique personnelle soient absentes de ces choix. Deux études permettent de fournir un éclairage sur l’impact du niveau d’éthique des dirigeants sur les décisions en matière de RSE. La pratique dite de l’insider trading, c’est-à-dire de transactions par des dirigeants sur les titres de leur firme fait l’objet d’un encadrement légal fort. Elle reste à la source de multiples suspicions d’exploitation d’informations privilégiées au détriment des autres acteurs du marché. Gao, Lisic et Zhang (2014) utilisent une mesure des profits réalisés dans ce cas par les dirigeants principaux (CEO, CFO, COO …) comme indicateur de manquement potentiel à l’éthique des affaires. Leur échantillon comprend 54 487 observations et intéresse 1 276 firmes américaines sur la période 1992-2011. Ils mettent en évidence une association négative entre l’activité d’une entreprise en matière de RSE et le volume de l’insider trading réalisé par ses principaux dirigeants. Par ailleurs, l’association est plus forte quand les dirigeants se prononcent dans les médias ou quand ils sont engagés dans le capital de leur entreprise. Une autre piste pour apprécier le niveau d’éthique des dirigeants est de se tourner sur leurs pratiques en matière de fiscalité. Davis, Guenther, Krull et Williams (2016) s’interrogent : les entreprises les plus actives en RSE sont-elles plus civiques (optimisent-elles moins leur fiscalité) ou au contraire compensent-elles leurs dépenses en RSE par moins de paiements d’impôts ? D’une autre manière, les activités en matière de RSE et les paiements d’impôts sont-ils des compléments ou des substituts ? Au sein d’un échantillon de 5 588 observations effectuées entre 2002 et 2011, les auteurs apprécient les comportements en matière de fiscalité à travers deux mesures : le poids des impôts payés par rapport aux bénéfices réalisés et le montant des dépenses de lobbying engagées pour obtenir une législation fiscale plus favorable. Contrairement à des études précédentes qui soutenaient la thèse de la complémentarité  selon laquelle les entreprises les moins civiques sont celle les moins actives en RSE et les plus agressives pour réduire leurs impôts, cette recherche montre que les entreprises les plus actives en RSE sont aussi très agressives fiscalement : les dépenses en RSE et les paiements d’impôts agissent dès lors plus comme des substituts ! En quelque sorte, certaines entreprises préfèrent faire le bien elles-mêmes plutôt que de laisser les Etats le faire …

2.2 Sous influence

Benabou et Tirole (2010) défendent dans un article publié dans la revue Economica la thèse selon laquelle une publication aussi fréquente de rapports en matière de RSE par les grandes entreprises découle d’un comportement pro social délégué de ces dernières à l’avantage de certaines de leurs parties prenantes. C’est cette hypothèse qu’ont testée Di Giuli et Kostovetsky (2014) en retenant comme partie prenante concernée le personnel politique local avec qui bien évidemment les entreprises doivent avoir affaire.

a) des parties prenantes

Les auteurs supposent ainsi que les dirigeants d’entreprise dont la sensibilité politique est démocrate (républicaine) et qui opèrent dans des états démocrates (républicains) dépensent plus (moins) en matière de RSE. Leur échantillon d’étude contient 19 378 observations portant sur 2 963 firmes américaines entre 2003 et 2009. Ils s’attachent à construire un indicateur de la couleur politique dominante (bleue démocrate ou rouge républicaine) en prenant en compte l’environnement interne de l’entreprise (en fonction de leurs contributions aux campagnes électorales faites par les CEO, administrateurs ou encore fondateurs et en fonction aussi du nombre d’entre eux ayant occupé une fonction politique précédemment) et l’environnement externe (suivant les résultats enregistrés aux élections présidentielles, au congrès et au gouverneur dans l’état où la firme a son siège). Ils montrent que les entreprises dont l’environnement politique dominant est démocrate sont plus actives en RSE. Cette relation est la plus forte quand l’entreprise est de taille moyenne, c’est-à-dire quand le plus souvent les liens entre ses dirigeants et le personnel politique local sont plus étroits. Par ailleurs, elles mettent plus en évidence dans leur communication leurs points forts que la réduction de leurs faiblesses, ce qui est certainement plus payant au plan politique.

b) des analystes financiers

Il reste une catégorie d’acteurs qui jouent un rôle important en matière d’influence sur les entreprises, à savoir les analystes financiers. Leur réaction face à des dépenses en matière de RSE peut être positive ou négative, positive s’ils jugent qu’elles sont de nature à mieux valoriser la firme pour ses actionnaires, négative s’ils considèrent qu’elles sont excessives, sous-optimales et finalement contribuant du point de vue des actionnaires à un gaspillage des ressources. Les deux thèses trouvent leur support dans la littérature académique récente.

Pour Boubakri et al. (2016), l’effet est positif. Ils déduisent cette conclusion de l’étude du cas particuliers de sociétés non américaines ayant décidé de se faire coter sur une bourse américaine. Dans ce cas, on peut penser qu’elles sont suivies par des communautés plus diverses d’analystes et d’investisseurs et qu’elles doivent en conséquence respecter des standards plus élevés en matière de RSE si cette dernière est désirable. Leur échantillon contient 10 815 observations portant sur 3 400 firmes non américaines et provenant de 54 pays différents entre 2002 et 2011. Ils vérifient que lorsque ces entreprises étrangères sont introduites (radiées) à la cote d’une bourse américaine, elles maintiennent des scores plus (moins) élevés en matière de RSE. L’effet est plus marqué pour les firmes provenant de pays où la protection des droits des investisseurs est plus faible, c’est-à-dire là où on se soucie moins de la valeur actionnariale. Enfin, il est plus fort pour les firmes opérant dans des secteurs où les risques juridiques sont plus élevés aux USA, là où une plus grande prudence est requise.

Adhikari (2016) soutient une thèse différente. Pour lui, plus d’analystes ne signifie pas plus de dépenses en RSE. Bien au contraire, plus ils sont présents, plus ils exercent une surveillance sur les dirigeants. Ces derniers perdent en liberté, surtout lorsqu’il s’agit de dépenses discrétionnaires qui n’améliorent pas la valorisation boursière de l’entreprise. Un test de causalité est délicat à réaliser. On peut  toujours mettre en évidence une simple corrélation entre un nombre d’analystes et un niveau de score en matière de RSE, sans que cela ne préjuge en rien sur l’effet réel de l’un sur l’autre. Il se peut simplement qu’une variable latente affecte et l’un, et l’autre. Pour contourner cette difficulté, l’auteur utilise un cadre pseudo expérimental intéressant. Il repère les cas où des bureaux d’analyse ont disparu soit après fermeture, soit après fusion. Les sociétés qui étaient suivies par un analyste de ces firmes voient mécaniquement le nombre d’analystes les suivant diminuer d’une unité à court terme. Cette chute est totalement étrangère au choix des dépenses en RSE par les firmes suivies. Ainsi, on peut relier avec plus de sureté une hausse éventuelle des dépenses en RSE à la diminution observée d’une unité du nombre d’analystes. L’auteur compose un échantillon qui comprend 278 firmes ayant subi ce phénomène entre 2001 et 2011 (les entreprises exposées au traitement) et 278 firmes aux caractéristiques voisines mais qui n’ont pas connu un tel épisode (les entreprises de contrôle). Il calcule pour chaque population son score moyen avant la disparition d’un analyste et après. L’analyse dite DiD (Difference in Difference) montre que l’écart de score de RSE entre l’échantillon de traitement et celui de contrôle varie fortement. A l’évidence, les firmes subissant moins de regards des analystes voient leur score augmenter beaucoup plus vite que les autres.

Ainsi, Adhikari peut conclure que, si a contrario plus la couverture par les analystes est grande, plus les dépenses en RSE sont faibles, alors les dirigeants ne font le bien qu’avec l’argent des autres … Leur monitoring est utile pour veiller à ce qu’elles ne soient pas excessives et qu’elles n’aient pas d’effets négatifs sur la valeur actionnariale.

Les deux thèses ne sont peut-être d’ailleurs pas exclusives. Il est possible qu’il y ait en matière de dépenses en RSE un optimum du point de vue des actionnaires. Les deux études se situeraient ainsi de part et d’autre de cet optimum.

Conclusion :

Pour finir, nous allons abandonner le point de vue du chercheur qui tente de comprendre les motivations des entreprises à dépenser plus (ou moins) en RSE pour adopter celui de l’investisseur en bourse. Est-ce un bon critère de choix lorsqu’on compose son portefeuille de retenir plus massivement les sociétés qui dépensent le plus en RSE ? Nous retiendrons l’éclairage récent fourni par Humphrey, Lee et Shen (2012). A partir d’un échantillon composé de 256 entreprises britanniques entre 2002 et 2010, ils ont composé des portefeuilles de sociétés à haut indice de RSE. Puis, ils ont comparé leurs performances ajustées pour le risque à celles de portefeuilles composés de sociétés à faible indice de RSE. De manière très décevante, pour les fans de la RSE et plus généralement pour ceux qui sont à la recherche de règles profitables de gestion de portefeuille, ils n’ont trouvé aucune différence significative !

 

Références bibliographiques :

Adhikari, B. (2016), Causal effect of analyst following on corporate social responsibility, Journal of Corporate Finance, 41, pp. 201-216.

Benabou, R. & J., Tirole (2010), Individual and corporate social responsibility, Economica, 77, pp. 1-19.

Borghesi, R., Houston, J. & A., Naranjo (2014), Corporate social responsible investments: CEO altruism, reputation and shareholder interests, Journal of Corporate Finance, 26, pp. 164-181.

Boubakri, N., Ghoul, S., Wang, H., Guedhami, O. & C., Kwok (2016), Cross-listing and corporate social responsibility, Journal of Corporate Finance, 41, pp. 123-138.

Davies, A., Guenther, D., Krull, L. & B., Williams (2016), Do socially responsible firms pay more taxes?, The Accounting Review, 91, pp. 47-68.

Deng, X.,Kang, J. & B., Low (2013), Corporate social responsibility and stakeholder value maximization: Evidence from mergers, Journal of Financial Economics, 110, pp. 87-109.

Di Giuli, A. & L., Kostovetsky (2014), Are red or blue companies more likely to go green? Politics and corporate social responsibility, Journal of Financial Economics, 111, pp. 158-180.

Gao, F., Lisic, L. & I., Zhang (2014), Commitment to social good and insider trading, Journal of Accounting and Economics, 57, pp. 149-175.

Humphrey, J., Lee, D. & Y., Shen (2012), Does it cost to be sustainable?, Journal of Corporate Finance, 18, pp. 626-639.

Kim, M., Surroca, J. & J., Tribo (2014), Impact of ethical behavior on syndicated loan rates, Journal of Banking & Finance, 38, pp. 122-144.

Kim, Y., Li, H. & S., Li (2014), Corporate social responsibility and stock price crash risk, Journal of Banking & Finance, 43, pp. 1-13.

Ng, A. & Z., Rezae (2015), Business sustainability performance and cost of equity capital, Journal of Corporate Finance, 34, pp. 128-149.

– Un Vendredi de Véra, le 19 janvier 2018

HONNEUR AUX FEMMES !

Ont dû s’exclamer en chœur MM. Fée, Vaidy et Guillot, présidents successifs de la SSAAL (1828-1830) lorsqu’ont été élues 2 membres correspondants  féminins. La première admise fut Marie-Anne Libert, née en 1782 à Malmedy (Belgique). Passionnée de botanique, elle publie dès 1826 dans le Bulletin de la SSAAL le résultat de ses recherches «Mémoire sur des cryptogames observées aux environs de Malmedy»,  tableau méthodique du règne végétal de la circonscription de Liège. Elle est non seulement l’auteur de la collection «Les plantes Cryptogames», 4 fascicules parus vers 1830 sur les lichens, algues, champignons et fougères, et dès 1845 elle donne aussi une description détaillée du champignon responsable de la maladie de la pomme de terre, étant ainsi l’un des premiers à identifier la responsabilité du mildiou. Elle meurt  en 1865 à 83 ans. Le « Cercle naturaliste de la région de Malmedy » fondé en 1951, s’intitule aujourd’hui: « Cercle Royal Marie-Anne Libert ».

Un Vendredi de Véra, le 19 janvier 2018 | Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille

La seconde, admise en 1829, est femme de lettres : Albertine Clément-Hémery, née à Cambrai en 1778. Incontestablement femme émancipée dans la droite ligne de Madame de Staël, ses mémoires (1832) nous apprennent qu’elle étudie depuis ses 14 ans dessin et peinture à Paris dans l’atelier de J-Baptiste Regnault (mort en 1829). Ses souvenirs décrivent avec pittoresque l’intérieur de cet atelier de dessins (1792/93) qui deviendra le plus grand espace de formation artistique ouvert aux femmes à Paris, où iront s’initier plus de 30 élèves  de 14 à 25 ans. Veuve à 19 ans, Albertine participe  dès 1797 à l’élaboration du  Journal des dames et des modes. Très vite, ce journal devint le médium privilégié d’une observation ironique de la société où elle défend régulièrement l’émancipation de la femme, journal qu’elle dirigera pendant 30 ans dont elle assume la rédaction. Visiblement elle possède une solide expérience journalistique puisqu’elle dirige deux autres journaux : le Sans-Souci et Le Démocrate français, journal de politique, de littérature et de spectacles. Elle aura l’occasion d’exprimer ses convictions féministes dans un virulent pamphlet publié en 1801, écrit en une nuit :  « Les Femmes vengées de la sottise d’un philosophe du jour ou Réponse au projet de loi de Monsieur Sylvain Maréchal portant défense d’apprendre à lire aux femmes » (fig. ci-dessous). Dans ce pamphlet fort amusant, elle répond point par point à l’auteur qui mettait en garde en une centaine de pages contre « Les risques que court l’innocence d’une jeune fille livrée aux leçons d’un grammairien». Réponse d’Albertine : « C’est pourquoi, il est urgent de former des institutrices éclairées, qui prémunissent les jeunes filles contre les séductions d’un sexe perfide, qui ne respecte ni l’innocence, ni la vertu».  Vers 1829, elle revient vivre auprès de son père à Avesnes / Helpe où elle va se consacrer à l’éducation des jeunes filles et à la publication de nombreux manuscrits tels que Promenades dans l’arrondissement d’Avesnes (1829).  En 1843, la SSAAL lui décerne une médaille pour son mémoire « Recherches sur la fête des trente-un rois à Tournay « . Elle meurt en 1855 à 77 ans, laissant derrière elle une bibliothèque d’environ 2.600 volumes.

Un Vendredi de Véra, le 19 janvier 2018 | Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de LilleProjet d'une loi portant défense d'apprendre à lire aux femmes (1801). Suivi de Réponses de Marie-Armande Gacon-Dufour et Albertine Clément-Hémery - Librairie Mollat Bordeaux

 

– Un Vendredi de Véra, le 15 Décembre 2017

La Société des Amateurs des Sciences et des Arts 

devient

La Société des Sciences, de l’Agriculture et des Arts

 

Le 4 novembre 1819, M. de Muyssart, Préfet du Nord rend l’arrêté suivant :

Vu la circulaire de son Excellence le Ministre de l’Intérieur en date du 14 août 1819, relative à l’institution d’une société d’agriculture dans chaque chef-lieu d’arrondissement ;

Considérant qu’il existe déjà à Lille une Société d’Amateurs des Sciences et Arts, qu’elle s’est déjà occupée d’économie rurale et qu’elle consent à comprendre l’agriculture au nombre de ses travaux ;

Arrêtons ce qui suit : 1° La Société des Sciences et Arts existant à Lille tiendra lieu de la Société d’agriculture de l’arrondissement de Lille ; elle prendra le titre de Société des Sciences, Arts et Agriculture. (cf. Anatole de Norguet «  Histoire de la SSAAL de 1802 à 1860 »).

Avec leur sérieux coutumier, les membres de la SSAAL, sous la présidence de   J-V. Vaidy forment aussitôt une commission chargée d’accueillir les nouveaux membres issus du monde rural – à l’époque cela ne se faisait pas sans longues discussions internes -, on admet finalement plus de grands propriétaires terriens que de simples cultivateurs.  Le sujet de l’agriculture a très intensément occupé notre Société de 1820 à 1856 et en particulier lors de la distribution des prix en faveur de l’économie rurale (à partir de 1856 le Comice Agricole prendra le relai). Lors de la séance solennelle de 1827, le Président J. Macquart insiste sur les « deux branches de notre prospérité rurale que la SSAAL a particulièrement en vue dans l’arrondissement de Lille : celle du houblon et le concours ouvert pour améliorer la race ovine ».  Il ajoute « la qualité bien grossière de nos laines avait engagé la Société à exciter l’introduction de béliers étrangers dans l’espérance d’améliorer cette branche ». A la grande déception de tous, une première tentative d’introduire les races anglaises et hollandaises est restée sans résultat. Aussitôt et sans se décourager, la Société lance un nouvel appel aux propriétaires de troupeaux pour le concours de 1828.

L’aide viendra d’un membre correspondant extérieur, qui n’est autre que le vicomte Sosthène Ier de la Rochefoucauld, directeur des Beaux-Arts auprès du roi Charles X, mais manifestement un gentleman-farmer (son portrait ci-dessous, par F-J Heim, au Louvre). Il fait don à la Société

Royale des Sciences, des Arts et de l’Agriculture de Lille d’un superbe bélier anglais du New-Leicester. L’impulsion est donnée et M. Champon-Dubois, propriétaire éclairé, va acquérir d’autres bêtes de la même race (que le bélier).

Et voilà comment les Arts ont volé au secours de l’Agriculture !

Mais l’attribution de l’Agriculture dans notre rôle ne se fait pas sans heurts

Dans sa publication, A. de Norguet se fait l’écho de quelques frictions survenues en 1841 à propos de la subvention versée annuellement par le Conseil Général à la SSAAL pour soutenir son engagement vers le monde rural. Un rapide calcul montre que, depuis 1820 la Société a reçu 4 fois : du Département 2.300 francs et du Gouvernement 3.500 francs, total : 38.000. Mais, fait valoir la Société, elle a décerné pour 47.535 francs de primes, 118 médailles d’or ou d’argent, et une très grande quantité d’instruments d’honneur. Le Conseil Général pose alors une question assez délicate qui vise directement la Société : Faut-il dépenser dans des publications agricoles ? Et le Conseil de se répondre à lui-même : « Non  car le cultivateur ne lit pas ». « Si, Il lit ! » lui rétorque la SSAAL « et les livres faits non par des hommes étrangers à la pratique, mais par ceux qui véritablement savent produire, nous semblent devoir être profitables. » La Société s’est trouvée heureuse de pouvoir concourir à fonder des bibliothèques rurales, et elle l’a fait avec empressement. Elle se trouve heureuse de répandre des connaissances dans les campagnes au moyen de ses publications agricoles, parce qu’elles ont produit un bien qu’on ne saurait nier. Elle met ces publications dans les mains de ses associés, qui, assurément, sont bien capables de les comprendre et de les méditer, et qui savent bien ensuite à qui les confier. Ces petits livrets sont comme les jetons de présence qui attestent l’affiliation des agriculteurs à une Société laborieuse et scientifique, c’est dans ces cahiers que sont décrites les nouvelles cultures que nos associés ont entreprises et qu’ils montrent à leurs voisins ; c’est là que sont mentionnées les distinctions et les récompenses qu’ils ont obtenues.  « Louer et faire connaître, ce que les praticiens ont tenté, leur donner un moyen de propager les bonnes méthodes, en leur laissant le mérite, nous semble être ce qui attache le plus fortement à la Société les hommes qu’il importe d’inviter à prendre part à nos discussions. Nous pensons donc qu’il n’est pas possible de proscrire les publications agricoles, nous en avons obtenu les plus heureux résultats. »

Juste pour mémoire les prix décernés pour 1828 aux Agriculteurs :

– Trois médailles pour les houblonnières les mieux cultivées : l’une d’une valeur de 200 francs à M. Lecomte-Lepoutre (de Bousbecque), l’autre à M. Descamps (à Croix), et une d’une valeur de 150 francs à M. Leroi (à Houplines),

– Un prix de 150 francs à M. Masquelier propriétaire du plus beau taureau présenté au concours,

– Un prix de 100 francs à M. Hochart (d’Allennes), propriétaire du second plus beau taureau,

– Un prix de 100 francs à M. Masquelier-Boet pour avoir présenté la plus belle génisse hollandaise née dans l’arrondissement,

– Quatre prix de 50 francs chacun à MM Potier-Casetan, Houzé de l’Aulnoit, Masquelier-Boet et Labbé, propriétaires des génisses les plus belles après les précédentes.

 

– Un Vendredi de Véra, le 16 novembre 2017

EXPOSITIONS DE SOUVENIRS, 1955

 Cette année-là se tient à Lille du 29 mai au 4 juin le 80ème Congrès des Sociétés Savantes de France.  La SSAAL est très impliquée dans l’accueil des 300 congressistes et dans l’élaboration du programme scientifique et culturel. Le Président en est alors Joseph Kampé de Fériet, célèbre mathématicien, fondateur de l’Institut des Mécaniques des Fluides de Lille – ce qui ne l’empêchera pas de présenter à la SSAAL lors de sa séance du 8 mars 1957 un récit fort documenté sur Le Séjour de la Famille Mozart à Lille.

La cérémonie d’ouverture du 80ème Congrès se déroule dans la grande salle des examens de la Faculté de Droit, rue Paul Duez, sous la présidence du Recteur Souriau.

Le programme culturel invite les congressistes à la découverte d’une « Exposition de Souvenirs » de la SSAAL au Palais des Beaux-Arts de Lille. Son conservateur, Pierre Maurois (qui sera l’année suivante Président de la SSAAL) a l’excellente idée d’y faire exposer de nombreuses pièces de souvenirs de 49 de ses membres (sur les 400 entre 1802 et 1955). Le catalogue, sans illustrations (car trop coûteuses), présente dans l’ordre alphabétique, de A comme Edouard Agache-Kuhlmann à W comme Aimé Witz,  diverses pièces,  prêtés de la Faculté des Sciences, du Musée de Lille, de la Bibliothèque Municipale, du Musée industriel et commercial, des Archives Départementales du Nord, de la Faculté Libre, du Musée d’Histoire naturelle,  de la Société Industrielle (en 1955 la SSAAL y est encore hébergée pour ses séances, au 116 rue de l’Hôpital Militaire), mais aussi de particuliers.

Les   objets  exposés dans des vitrines (figures ci-dessous) racontent la passionnante histoire de notre SSAAL :  portraits des membres (peints ou photographiés selon les époques), une lettre d’E-L Malus adressée aux membres de la SSAAL et datée de son départ de Lille le 8 germinal de l’an XII1, (voir fig) une lettre de S. Bottin à sa fiancée, le microscope utilisé par L. Pasteur dans son laboratoire de Lille, l’épée et le bicorne de L. Faidherbe, les albums de photos « Voyage en Egypte par Maxime du Camp » imprimés en 1852 dans son imprimerie à Loos par L. Blanquart-Evrard (voir fig), la canne et le marteau du géologue J. Gosselet. Bien entendu, la SSAAL a sorti de ses propres archives un échantillon de précieux documents et souvenirs :  Registre des délibérations de la Société 1802–1817, Etat des dépenses en 1810, Correspondance administrative relative à l’érection de la Société des Sciences en Société Royale 1828-1829, Palmarès de la distribution des Prix de la Société année 1825, Fête du Centenaire de la Société,  Programme de la séance solennelle de 1902, Invitation et menu du Dîner du Centenaire, Invitation au Dîner Annuel 1910,  Menus des années  1908–1909–1910–1912 (voir fig), Jetons et médailles de la Société.

La presse locale a donné un large écho aux différents évènements aussi bien scientifiques que culturels. Sur les photos publiées alors on voit au Palais des Beaux Arts les congressistes écoutant attentivement Kampé de Fériet et Pierre Maurois qui évoquent avec force détails le souvenir des 49 membres de la SSAAL dont les objets, leur appartenant jadis, ont retrouvé une nouvelle vie, le temps du Congrès à Lille des Sociétés Savantes.

(1) Le 29 mars 1804

 

 

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– Un Vendredi de Véra, le 22 septembre 2017

La Société Impériale des Sciences de Lille,  Médaille d’Or 1861 !

La Séance Solennelle de la Société Impériale des Sciences, de l’Agriculture et des Arts du 22 décembre 1861 est encore plus remarquable que celle dont le grand public a l’habitude annuelle. L’événement a attiré à Lille une grande partie de la presse nationale, dont le journaliste de l’hebdomadaire L’Illustration : un long article du 8 janvier, joliment illustré par un dessin de l’artiste du Nord Eugène Boldoduc qui offre une vue splendide sur l’intérieur de la Salle du concert, Place du Concert, où ont pris place sous lustres et stucs, les membres de la SSAAL au grand complet face à un public très nombreux.  La séance est ouverte par le Président Edmond de Coussemaker, en présence, entre autres, du Maire de Lille, M. Auguste Richebé.

Dès l’ouverture de la séance, le Président provoque dans le public des acclamations de joie en proclamant haut et fort : «  La Société Impériale  des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille vient de recevoir de la main de son Excellence le Ministre de l’Instruction Publique et des Cultes,  Mr. Gustave Rouland,  la plus haute des récompenses qu’elle pût ambitionner, la toute première Médaille d’Or attribuée à une Société Savante de France », médaille que le Président montre fièrement au public. Dans la salle, le journaliste Edouard de Saint Amour du Journal L’Illustration racontera quelques jours plus tard dans son article  combien il était  impressionné par la qualité des savants lillois  récompensés ce jour là. Il mentionne les médailles des Sciences appliquées, ceux des Sciences médicales, d’Hygiène et d’Histoire remises aux lauréats ; Il cite longuement le lauréat du concours de poésie, médaille d’or décernée à M. Deltombe, instituteur à Orchies qui avait choisi pour sujet « La Bataille de Bouvines, « ce fameux dimanche de Bouvines », puis le journaliste signale un fait particulier de cette séance: la médaille d’or décernée – hors concours – à Alexandre Desrousseaux, le chansonnier lillois. Une dernière récompense concerne les 7 brevets remis aux élèves chauffeurs, car notre Société, toujours à l’avant-garde, avait créé en 1857 une école de Chauffeurs pour former les conducteurs de machines à vapeur, en étroite collaboration avec les industriels lillois.

Parmi les membres présents siège l’infatigable Charles Delezenne (1776–1866), membre depuis 1806 et doyen d’âge. L’initiateur en 1817 à Lille du premier cours d’enseignement de la Physique était une des gloires scientifiques lilloises, comme le souligne dans son édition de 1868 l’annuaire statistique du Nord. Cette admiration s’est traduite plus tard, sur demande de Benoît Damien autre physicien lillois, par la pose d’un buste en bronze de Ch. Delezenne au frontispice de l’Institut de Physique, rue Gauthier de Châtillon à Lille,  il est toujours en place, mais le bâtiments accueille  désormais l’Ecole Supérieure de Journalisme.

Cette Séance Solennelle se clôt par un chant du Cercle Orphéonique : «  Le Départ des Pasteurs », musique d’Armand Limnander, compositeur belge ami du Président de séance.

Dessin de Boldoduc dans  l’Illustration (BM Lille cote P 906)

– Vendredi 17 novembre à 17 heures. Réunion mensuelle. Conférence : « L’épigénétique ou quand l’environnement se mêle (s’emmêle ?) de (dans la) génétique » par Didier Vieau.

Didier Vieau, CSENPC, UMR Inserm UMR-S1172, « Alzheimer & Tauopathies », Université de Lille

Depuis très longtemps les savants se querellent sur l’importance respective de l’inné et de l’acquis dans l’établissement du phénotype (l’ensemble des traits observables d’un être vivant). Quelle est la contribution du génome (ensemble du matériel génétique d’un organisme) ou de l’environnement dans sa globalité (milieu intérieur, bactéries, virus, relations sociales, nutrition, polluants, toxiques, climat, etc…) sur ce que nous sommes ?

Vendredi 16 juin à 17 heures. Réunion mensuelle. Conférence :  » Victor Hugo et le Moyen-Age  » par François Suard.

Lorsque Victor Hugo commence son œuvre poétique (la première édition des Odes date de 1822), le Moyen Âge est à la mode. Il s’agit aussi bien de la vision édulcorée du « style troubadour », à laquelle a contribué la Bibliothèque Universelle des Romans du comte de Tressan, que du goût pour une vision historique romancée de la période médiévale, bientôt popularisée par Walter Scott, du roman fantastique anglais, du souvenir de la poésie lyrico-épique espagnole (le Romancero), de la découverte d’une poésie populaire ou prétendue telle (Mac Pherson réécrivant des poèmes attribués à Ossian), dans les domaines celtique ou germanique. Se cherche ainsi une sorte de retour aux sources, qui saute par-dessus la révolution et l’époque classique et cultive l’expression des passions, cœur du romantisme.
Victor Hugo puisera, tout au long de sa carrière poétique, à ces différentes sources d’inspiration. Proche encore de la mièvrerie troubadouresque dans les Odes et ballades, il affirme dans Notre Dame de Paris (1831, 1832) son goût pour une vision plus riche, à la fois lumineuse et sombre, du Moyen Âge. Ses voyages en Allemagne et ses lectures lui feront célébrer dans Le Rhin (1842) et aussi dans les Burgraves (1843) le fantastique germanique. Il associera enfin dans la Légende des siècles (1859-1883), les traditions espagnole, française et germanique dans une vaste collection de « petites épopées ». On peut dire que le poète a trouvé dans un univers médiéval qu’il modèle au gré de sa fantaisie l’espace privilégié où se déploie une verve épique qui mêle ton élevé ou familier, tragique ou burlesque.