Vendredi 18 Janvier 2019 de Véra Dupuis
Les Médailles d’argent pour le Concours littéraire distribuées lors de la Séance Solennelle du 27 décembre 1863
Nous avons choisi pour cette chronique de reproduire un large extrait de la Séance Solennelle de l’année 1863 et en particulier le passage qui relate le choix du jury pour couronner les auteurs de poèmes, poèmes envoyés à la SSAAL de la France entière. La Société des Sciences de l’Agriculture et des Arts a, dès sa fondation en 1802, honoré les Belles Lettres et en particulier la poésie. On retrouve publiés dans ses Mémoires de très nombreux témoignages de membres titulaires ou correspondants ayant composé des poèmes en tout genre à lire en séance. Certes à la relecture des discours prononcés ce 27 décembre 1863 le style nous paraît pompeux, désuet et bien trop long, mais in fine n’est-il pas délicieux de retrouver 150 ans plus tard cette ambiance d’une séance vraiment Solennelle digne d’une Société IMPERIALE des Sciences, de l’Agriculture et des Arts ?
« Le Président de la Société des Sciences de l’Agriculture et des Arts, François Chon, après le discours d’ouverture1donne la parole à M. de Melun, Rapporteur, pour rendre compte, au nom de la Commission de littérature et d’histoire, des résultats fournis par les concours littéraires pour 1863, et des propositions de récompenses faites par cette Commission et sanctionnées par la Société.
« Messieurs,
Parmi les divers concours ouverts sous votre patronage, la poésie, a depuis quelques années, un heureux privilège. Un nombre considérable de concurrents se présentent pour disputer vos palmes et vous n’avez que l’embarras du choix entre des rivaux dont la plupart, s’ils n’obtiennent pas de récompense, méritent au moins des encouragements. Cette fois le nombre des candidats est resté à peu près le même que l’année dernière, nous sommes fiers de le proclamer, plusieurs à qui vous accorderez des mentions honorables auraient été couronnés dans un autre concours. Et pourtant la Société n’a pas été avare de récompenses ; elle décernera, par une exception bien rare, cinq médailles, dont une médaille d’or, et elle regrettera encore de ne pouvoir étendre au-delà les témoignages de sa satisfaction. Tels sont les progrès de cette lutte remarquable, qui laisse derrière elle les tournois académiques les plus renommés. Les pièces mêmes que nous passerons sous silence ont une certaine valeur. Dans presque toutes nous avons remarqué, au milieu d’imperfections trop accusées, des vers heureux, des pensées ingénieuses et surtout de nobles sentiments. La religion, la patrie, la liberté, l’amour maternel, ce qu’il y a de plus élevé et de plus touchant dans le cœur de l’homme ont inspiré nos poètes. Un seul a cru devoir prendre à partie le roi qui, malgré ses fautes, a donné son nom au siècle le plus brillant de notre histoire. Il a oublié que notre pays a le cœur assez vaste pour embrasser dans un même sentiment filial le présent et le passé, et que celui qui cherche à rabaisser une des gloires de sa patrie ternit l’honneur de sa mère. Aussi l’entreprise n’a pas été heureuse, une muse française devait lui refuser ses faveurs. Nous avons écarté, d’après le texte du programme, quelques morceaux qui n’étaient pas sans mérite, mais dont les auteurs s’étaient fait connaître. Nous craindrions d’être injustes si, malgré les taches qui les déparent et les ont empêchées de s’élever plus haut, nous ne citions pas les pièces intitulées Le Coucou, rêverie pleine de charme et de finesse, La Faucheuse, dont l’allure rude et sauvage convient si bien au sujet, et Les Ormes, d’un style simple, doux et naïf.
Quatre auteurs dont les noms seront proclamés ont droit à des mentions honorables. La Commission a classé leurs compositions dans l’ordre suivant :
1° Le Jour des Morts. C’est une méditation sur les destinées de l’homme où le doute est victorieusement combattu. La versification en est pure et correcte, le style offre la gravité et quelquefois la majesté digne d’un pareil texte, les sentiments ont un caractère de grandeur que la foi seule inspire, mais le sujet lui même a été traité souvent et l’auteur est rarement sorti des sentiers battus. Nous nous contenterons donc de citer très honorablement cette pièce qui, certainement, est l’œuvre d’un talent déjà exercé.
2° L’auteur de l’Union des Peuples, comme il le dit lui-même, chante l’impossible. Il voudrait voir tomber les barrières qui séparent les nations et appliquer cette belle devise que transmettait à son premier début le télégraphe transatlantique : « Gloire au Dieu très-haut, paix sur la terre et bienveillance entre les hommes ». Ce programme céleste a été apporté ici-bas par les Anges, il y a près de deux mille ans, et n’a pu encore détruire les fléaux que le poète latin caractérisait par une épithète si expressive, bella matribus detestata, la guerre, des mères détestée, et à qui notre auteur adresse la plus vigoureuse apostrophe. Il y a de la grandeur dans cette poésie, mais elle manque souvent de correction.
3° Les ruines de Coucy. Le poète nous transporte au milieu des ruines du château féodal, qui par sa masse imposante comme par l’illustration du nom qu’il porte, a défié l’action du temps, ce grand destructeur des pierres et des souvenirs. Il y trouve de nobles accents qui, après avoir ressuscité pour un moment les hommes et les choses d’autrefois, nous font gémir avec lui sur leurs tombeaux.
4° Pâquerette est d’un tout autre genre. C’est un conte moral, plein de grâce et de gentillesse, qui rappelle certaine histoire du bon Henri et du paysan que vous avez applaudie l’année dernière. Ici le héros est un charmant cheval, qui abandonne le village où il est aimé pour la cour des rois où il brille un instant et est bientôt jeté aux mains d’un dur cocher de place.
Nous regrettons que le temps trop court nous empêche de lire les vers qui dans ces différents morceaux auraient justifié nos éloges, mais peut-être aussi, aux yeux de ceux qui ne sont pas obligés comme nous de juger par comparaison, en ne leur accordant que des éloges, aurions-nous été taxés de sévérité ! Nos lauréats plus heureux sont les seuls coupables. Seuls, par leur rare supériorité, ils les ont privés des premiers prix. Les fastes de notre pays avaient apporté leur contingent dans le concours et ont remporté aussi leur part de récompenses. Des médailles d’argent ont été méritées par deux concurrents qui se sont inspirés des traditions locales. L’un a reproduit la terrible légende de Robert-le-Frison, ce comte usurpateur des droits de ses neveux. Le remords sous la forme d’un spectre s’attache nuit et jour aux pas du farouche guerrier, et d’un ton menaçant et moqueur lui reproche sa trahison. La seconde légende, qui se passe dans l’île du Buc, berceau de Lille, où s’élève en ce moment la cathédrale de Notre-Dame de la Treille, n’a plus le même caractère. Si elle commence d’une manière assez tragique, elle finit comme toutes les comédies, par un mariage, et la belle Mathilde, la fille du comte de Flandre, en est encore plus le héros que Guillaume-le-Conquérant. Pour ce poème, la Société des Sciences décerne une médaille d’argent à M. Eugène POL, secrétaire de l’Inspection académique d’Ile–et-Vilaine, à Rennes pour son poème ci-dessous « Souvenir de l’île du Buc »,(la SSAAL décernera encore deux prix à Eugène Pol pour d’autres poèmes : en 1864 une mention honorable et en 1865 une médaille de vermeil)
(NDLR : quelques mots d’explications : l’événement qui sert de fond historique au poème se déroule vers 1049 à Lille, le compte de Flandre, Baudouin V, est considéré pour le fondateur de la ville de Lille. Sous sa gouvernance Lille sort en 1066 des brumes de l’histoire, grâce au premier document écrit « la fameuse Charte de Lille » dans laquelle le comte parle de sa ville, de ses 5 paroisses, de son Forum (La Grand’Place) et de son Castrum (actuel ilot Comtesse) où se trouve aussi le modeste château non loin du Rivage la basse Deûle, actuellement l’avenue du Peuple Belge depuis qu’on a comblé la rivière et son port en 1932 ). En cette année mémorable, 1049, la fille du comte, Mathilde, est demandée en mariage par le Duc de Normandie, Guillaume – futur « Conquérant » après la bataille de Hastings en 1066. Celui-ci, éperdument amoureux de la noble flamande, envoie son écuyer demander sa main, mais Mathilde rejette avec mépris l’amour d’un aventurier. A cette nouvelle, Guillaume entre en fureur :
« Souvenir de l‘île du Buc »
En proie à l’orage D’une sourde rage, Qu’il déguise mal, Sans ouvrir la bouche, Le Normand farouche A fait un signal. Sa troupe muette à le suivre est prête, Il monte à cheval.
D’un vol intrépide Il part plus rapide Que le vent des cieux. Dévorant l’espace, Il bondit, il passe, Éclair furieux, A travers la plaine ; On pourrait à peine Le suivre des yeux.
Que va-t-il surprendre ? Il arrive en Flandre, Franchit le fossé de la citadelle A Baudouin fidèle, Il s’est élancé Si vif de passage, Que varlet, ni page Ne l’ont annoncé.
Mathilde, — ses charmes, Ses yeux pleins de larmes, Sont un vain secours ; Mathilde est sa proie ; Il foule avec joie La fleur des amours ; Il fane, il outrage Ce charmant visage Qu’il aime toujours.
Mathilde glacée, Roule terrassée De coups et d’effroi ; Mais le beffroi tinte, Le Normand sans crainte Est sourd au beffroi ; Et joyeux, tranquille Retourne à sa ville Sur son palefroi.
Bien sûr, le comte Baudouin V a juré de venger l’injure faite à sa fille, il convoque ses hommes d’armes; tous s’apprêtent au combat ; mais voilà que Mathilde se jette aux pieds de son père et déclare qu’elle veut épouser le farouche Normand. Ce n’est plus à la guerre, c’est à la noce que tous ces futurs héros sont conviés.
Et quand on demandait à Mathilde de Flandre, Quel talisman avait, en sentiment si tendre, Changé le souvenir de son cruel affront. — Celui qui peut oser ce qu’il osa naguère, Battre une fille chez son père Celui-là, disait-elle, est un fameux baron.
Fameux!… oui, c’était vrai, car bientôt le gendre de Baudouin, Guillaume Va dans les champs d’Hastings se tailler un royaume Et changer ses donjons pour d’augustes palais ; Le Conquérant bientôt va s’asseoir sur un trône, Et dans Londres, non plus saxonne, Mathilde marchera en reine des Anglais.
Ajoutons pour compléter l’histoire de Mathilde et de Guillaume le Conquérant qu’ils ont vécu heureux ensemble et qu’ils ont eu 11 enfants. Devenue Reine d’Angleterre Mathilde n’a pourtant jamais oublié sa ville natale, Lille. Elle est certainement à l’origine du nom donné à la rue d’Angleterre à Lille, dans l’ancien quartier du Castrum. En déchiffrant les documents d’archives de 1066 à 1300, on découvre que la rue d’Angleterre se nommait à ses débuts vicus Anglie, rue Engletiere, vicus Anglicorum. Puisque nous parlons de poésie dans cette chronique ajoutons que Jacobi Giélée (Jacquemars Giélée, XIIIè), auteur du Renart le Nouvel, roman en 8000 vers, a habité lui aussi la rue d’Angleterre. Visiblement, c’était le quartier chic des temps très anciens.
1 J’ajoute pour ceux qui souhaitent en connaître un peu plus sur le déroulement de cette Séance solennelle du 27 décembre 1863, l’allocution du Président, François Chon, ci dessous.
SÉANCE SOLENNELLE DU 27 DÉCEMBRE 1863,
Sous la présidence de M. VALLON, Préfet du Nord,
Membre honoraire de la Société.
A deux heures, M. le Président d’honneur prend place au bureau, avec M. RICHEBÉ, Maire de Lille, M. CHON, Président de la Société, M. H. VIOLETTE, Vice-Président, et les autres Membres du Bureau.
La séance étant ouverte, M. CHON, Président de la Société, prononce le discours suivant :
« Messieurs,
Depuis longtemps la Société Impériale des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille a été habituée à la bienveillance de nos magistrats ; en daignant assister encore à cette séance académique, les autorités supérieures de la ville et du département ont voulu nous donner une fois de plus un témoignage de l’intérêt qu’elles prennent aux progrès de la science dans un pays où l’on croirait volontiers tous les esprits absorbés par les préoccupations de l’industrie et du commerce. Que Monsieur le Préfet, toujours empressé à encourager nos travaux, que Monsieur le Maire, dont le zèle pour toutes les œuvres qui honorent la ville ne s’est jamais démenti, veuillent bien agréer l’expression de notre profonde reconnaissance. Mais aussi comment pourrions-nous oublier, en ce jour, le Gouvernement de l’Empereur qui, non content des médailles d’honneur décernées à la Société des Sciences et à plusieurs de ses membres, a consenti, par une faveur insigne, à élargir la sphère de notre action et de nos droits ? Par décret du 13 décembre 1862, la Société Impériale des Sciences, de l’Agriculture et des Arts de Lille a été reconnue établissement d’utilité publique ; désormais apte à posséder, à recevoir des legs et donations, investie de toutes les prérogatives que lui assure cette décision souveraine, elle est prête à répondre par un dévouement de plus en plus actif à la confiance qu’elle inspire. Etrangère aux partis qui divisent, appliquée seulement aux études qui rapprochent et qui réconcilient, n’ayant d’autre passion que celle du bien général et de la vérité, forte de l’union parfaite de ceux qui la composent dans un même sentiment et un même esprit de confraternité, elle justifiera sans cesse et dans la limite de ses attributions le titre nouveau qui lui a été si gracieusement accordé.
« Utile dulci » est la devise de la Société ; notre ambition s’élève, il est vrai, jusqu’à l’utilité publique, mais aussi nous cherchons les jouissances intimes qui naissent du travail commun et de la conformité des goûts. Je lisais dernièrement un livre écrit sous le premier Empire et je m’extasiais devant le luxe mythologique dont ses pages étaient émaillées ; toutes les divinités de l’Olympe s’y étaient donné rendez-vous, depuis Flore et Zéphyre jusqu’à Jupiter assembleur des nuages. C’était la mode alors : un poète vraiment digne de ce nom ne pouvait décemment composer un bouquet à Chloris sans faire intervenir le ban et l’arrière-ban des dieux et des déesses. II n’y avait pas de véritable poésie sans cela, et il fallait, avant d’aborder un sujet, connaître à fond son Dictionnaire de la Fable. Sous le deuxième Empire ce style est bien suranné ; je crois même qu’il paraîtrait complètement ridicule. Et pourtant certaines allégories ne laissaient pas d’être charmantes : j’en regrette quelques-unes et vous me permettrez de vous rappeler une des plus ingénieuses. N’est-ce pas une gracieuse image, en vérité, que le chœur des neuf Muses conduit par Apollon, dieu des sciences et des arts, sur les cimes éthérées du Parnasse? Voyez les vierges sacrées, comme elles se tiennent par la main, filles du même père, inspirées du même souffle céleste ! Tel est le tableau qu’a reproduit le merveilleux pinceau de Raphaël. Or, Messieurs, que signifie cette fiction, si ce n’est l’alliance étroite et nécessaire qui, dès la plus haute antiquité, a dû exister entre les diverses études auxquelles s’applique l’intelligence humaine? Elles ont pu quelquefois, dans les temps de barbarie, s’isoler les unes des autres et fleurir dans une espèce d’égoïsme forcé, mais aussitôt que le monde a recouvré ses conditions normales d’ordre et de stabilité, on les voit se rapprocher, et se tendre la main, en vertu de leurs affinités naturelles. L’arbre de la science pousse des branches dans tous les sens et vers toutes les régions du ciel, mais un tronc unique dispense généreusement la sève aux nombreux rejetons, et malgré la différence des produits, il offre dans son ensemble une majestueuse unité. Ainsi se réalise l’allégorie ; ainsi, comme les Muses, les manifestations variées de l’esprit s’unissent dans un concert admirable et divin. L’harmonie que les anciens ne représentaient que sous les couleurs de la fable, les modernes en ont fait la base essentielle des académies et des sociétés savantes. Les sciences y sont vraiment sœurs ; elles y vivent côte à côte, en parfaite intelligence avec les arts et les lettres. La physique, la chimie, l’histoire naturelle, la médecine, l’agriculture, se trouvent très heureuses du voisinage de la poésie, de l’histoire, de la philosophie. Lorsque, malgré la civilisation, la concorde est encore si difficile sur le terrain des opinions politiques et religieuses, elle s’établit comme d’elle-même au milieu des hommes que l’étude a rassemblés. Que les révolutions agitent le globe, que les trônes s’écroulent, que le canon tonne pour la délivrance des peuples ou la gloire des souverains, il y a là, en quelque coin béni de la terre, un Congrès pacifique convoqué par le Génie du travail et que ne sauraient empêcher ni les mauvaises jalousies ni les arrière-pensées coupables. J’ai souvent rencontré des personnes qui demandaient : A quoi peuvent-ils s’occuper, ces savants? Comment emploient-ils les heures de leurs séances ? Veuillez me permettre de vous le dire, car je comprends cette curiosité. Le public ne nous connaît guère que dans notre costume d’apparat. Vous trouverez dans le tableau succinct que je vais tracer, une démonstration frappante de la concorde et partant de l’harmonie qui règne dans une Société des sciences. Plaise à Dieu qu’il en soit ainsi dans toutes les réunions du même genre !
Le Président a dépouillé, en commençant, la correspondance que la Société entretient jusqu’aux limites du globe avec les diverses académies; il fait connaître à ses confrères les échanges d’idées établis avec eux de Philadelphie à Saint Petersburg; puis les affaires de ménage intérieur ayant été traitées comme en famille, on entame l’ordre du jour. C’est une communication ou verbale ou écrite d’un des membres de la Société ; il s’agit, par exemple, d’un mémoire scientifique sur une question de mécanique, de chimie, de médecine, que sais-je ! Peut-être quelque muse effrayée à qui ces choses austères et ces mots étranges causent un émoi facile à deviner, prendra la fuite et s’envolera en secouant ses ailes vers une moins lourde atmosphère, mais ceux que séduisent les sévères beautés de la Science, ne craignent pas de braver des termes hérissés de grec ou des problèmes hérissés de chiffres, pour recueillir les utiles résultats, les solutions parfois magnifiques et sublimes que l’intelligence de l’homme a trouvées. Qui dira la joie et le sincère orgueil dont la Société de Lille se sent transportée lorsqu’un de ses membres vient lui donner, comme il est arrivé l’année dernière, les prémices d’une de ces découvertes qui, en illustrant un savant, jettent aussi sur le corps auquel il appartient un éclat glorieux ?
S’agit-il ensuite d’une lecture littéraire : histoire, archéologie, arts, poésie ? Ces fronts sérieux qui tout à l’heure se courbaient dans l’attitude de la réflexion devant les calculs les plus compliqués, les raisonnements les plus ardus, se relèvent avec bonheur pour recevoir les douces émotions que les lettres savent répandre comme une rosée bienfaisante. Les esprits naguères fatigués par les abstractions ou les déductions scientifiques se rafraîchissent aux sources vives de l’imagination.
Ainsi se passent nos réunions ordinaires, à nous instruire, à nous éclairer, à nous intéresser mutuellement, sans passion, sans envie, avec le désir de contribuer seulement à l’accroissement des connaissances, à la diffusion des vérités. Le temps n’est plus, Dieu merci, où des hommes comme Newton et Leibnitz salissaient leur renommée par de scandaleuses disputes ; c’est l’honneur de la science actuelle d’épargner au monde ces spectacles, qui la ravalent au niveau des vulgaires combats. Chez nous du moins, tout, jusqu’aux discussions, est courtois, loyal et fraternel.
Avais-je donc tort de prétendre qu’une Société des sciences personnifiait cette harmonie intellectuelle qui avait inspiré à l’antiquité l’une de ses plus ingénieuses fictions ? Cette bienveillance réciproque que l’estime fortifie sans cesse a bientôt pris les airs de la plus sincère affection ; l’on ne saurait longtemps demeurer les uns à côté des autres, sans s’apprécier et s’aimer ; c’est là une tendance des natures que l’étude a réunies. La fraternité du travail éveille tous les sentiments sympathiques et alors il n’y a pas de joies, il n’y a pas de douleurs qui ne fassent vibrer les cœurs à l’unisson. Une distinction honorifique a-t-elle été accordée à l’un de nos confrères ? On dirait que la Société en est fière comme d’une distinction qui lui revient à elle-même ; elle y prend sa part de gloire et sa part de bonheur. J’entends encore les applaudissements qui éclatèrent dans son sein, lorsque par un doux privilège, il me fut donné de lui annoncer que l’Empereur, sur la proposition de l’Institut unanime et de Son Excellence M. le Ministre de l’Instruction publique, avait décerné la croix à celui que je venais de remplacer à la présidence. Oui, j’étais heureux, nous étions tous heureux de voir briller l’étoile de l’honneur sur la poitrine d’un ami aussi bien que d’un savant laborieux et infatigable.
Mais si nous avons eu nos heures de plaisir, nous avons eu, hélas ! nos jours de tristesse. Oh ! si je dois m’estimer trop favorisé d’avoir été une fois l’organe des sentiments joyeux de la Société, combien il m’a été pénible d’être à trois reprises différentes l’organe de ses douleurs ! On pourrait dire que, cette année, la mort a frappé dans nos rangs à tort et à travers comme si elle eût voulu par l’éclat de nos regrets, faire mieux ressortir cette harmonie des coeurs qui est et qui restera, je l’espère, l’un des caractères fondamentaux de notre Compagnie : Auguste Fiévet, Rouzière Cavalier et il est un nom qui ne s’effacera jamais de l’histoire parce qu’il reste attaché à des œuvres qui ne mourront point, c’est le nom du docteur Le Glay.
Après ce discours, M. LECLERCQ, ancien élève du Conservatoire Impérial de Musique de Lille, fait entendre un chant religieux, intitulé Alleluia, composé par M. F. Lavainne, également membre de la Société.