Un Vendredi de Véra, le 14 Février 2020 : Les 5 L. DANEL de la SSAAL

                                                  Louis, Léonard, Louis, Liévin et Louis,                                                                                  Imprimeurs lillois et membres de la SSAAL depuis 1828

La SSAAL compte parmi ses membres scientifiques, artistiques, littéraires, industriels une succession de lillois d’une même famille ; citons par plaisir les 3 Lestiboudois : Jean-Baptiste, François-Joseph, Thémistocle ; ou encore les 3 Verly : François, Charles, Hippolyte, sans oublier les 3 Desprez : Florimond, Michel, Bruno. Et puis, plus exceptionnelle : la succession d’une longue lignée d’imprimeurs, les 5 L. Danel.

Le premier à rejoindre la SSAAL en 1828 est Louis(-Albert-Joseph) Danel qui a alors tout juste 39 ans (né à Lille le 2 mars 1789, mort à Lille le 11 avril 1875). Il avait repris en 1814 l’imprimerie et le titre de ses ancêtres, les précédents Danel, installés depuis 1700 au 18 Grand-Place, face à la Vieille Bourse.  Quatre années après son installation il obtient ses brevets de libraire (juillet 1818). Homme d’affaire avisé, il est le premier du département à obtenir un brevet de lithographe de même qu’il sera le premier à acquérir une presse mécanique et à pratiquer la stéréotypie. Ses clients sont la Préfecture, la ville de Lille (les célèbres calendriers de Lille très recherchés aujourd’hui par les collectionneurs restent un exemple de son savoir-faire), le département pour qui il imprime les Annuaires statistiques, tout comme les affiches, annonces judiciaires ou publications de nombreuses administrations ou Sociétés savantes : les Mémoires de la SSAAL sont imprimés par L. Danel dès 1826.

Il utilise à partir de 1842 un procédé dit « impression à la Congrève », pour imprimer des étiquettes avec une épaisse couche de couleur, très appréciées en France et dont la Bibliothèque Municipale de Lille possède une exceptionnelle collection (citons pour exemple les étiquettes et les publicités du quasi-mythique « fil au chinois »)

Il sera le Trésorier de la SSAAL de 1843 à 1846.

Au Panthéon Lillois, Louis Danel

Louis Danel a laissé le souvenir d’amateur éclairé de musique, il était lui-même bon pianiste. Il devint en 1830 administrateur de l’Académie de musique de Lille et anima avec passion la vie musicale à Lille – dont le Festival du Nord à partir de 1838.  Il a mis au point une méthode simplifiée pour l’enseignement populaire de la musique vocale (11 publications sur ce thème, imprimées entre 1858 et 1874 sont disponibles à la bnf.fr).

De 1839 à 1860 il est administrateur des Hospices de Lille et il est fait en 1860 Chevalier de la Légion d’Honneur

Etant sans descendance, il fait rentrer dans l’imprimerie les deux fils de son frère, Léonard(-Paul-Joseph) et Louis et finira par leur céder définitivement l’imprimerie en 1846, lorsqu’il se retire des affaires pour se consacrer à la musique.

A sa mort en 1875, l’imprimerie L. Danel, sera devenue le plus gros imprimeur du Département du Nord.

 

C’est en 1885 qu’un deuxième L. Danel rejoint la SSAAL : c’est Léonard, le neveu né à Lille le 10 Mai 1818 (mort à Loos en 1905). Rentré dans l’imprimerie de son oncle en 1843, il la dirige en association avec son frère Louis jusqu’en 1852. Puis, c’est seul que Léonard hissera l’imprimerie à son zénith.  Il la déménage en 1863 de la Grande Place au 93 de la rue Nationale où il a trouvé un vaste terrain (4.500 m2) face au Square Jussieu ; l’entreprise deviendra alors l’une des plus grandes imprimeries de France à la notoriété mondiale (pour mémoire : la ville de Lille avait lancé à partir de 1858 son 7ème agrandissement et la rue Nationale venait tout juste d’être percée (1861) offrant de vastes terrains disponibles à la construction. C’est 30 ans plus tard (en 1893) que Léonard fera construire rue Faidherbe à Loos une seconde imprimerie sur 7.000 m2 (celle qui fermera définitivement ses portes en 1974).

  • Léonard Danel poursuit la politique d’investissement initiée par son oncle. Il parie sur la mécanisation et les nouvelles techniques d’impression : dès 1848  et possède une machine à vapeur, 3 presses mécaniques, 17 presses à bras, 10 presses lithographiques.
  • En 1863, pour 420 ouvriers il y a 2 machines à vapeur, 25 presses mécaniques et 28 presses à bras, 9 presses à la Congrève et 11 presses lithographiques.
  • En 1889, l’imprimerie est équipée pour le couchage, le satinage et le vernissage, pour la gravure sur métal et l’impression à la Congrève mais aussi pour la clicherie au plâtre, puis la galvanoplastie et la photogravure. Les 4.500 m2 de l’imprimerie abritent alors 2 machines à vapeur et 2 machines à gaz pour animer 39 presses mécaniques et 1 rotative, 7 doreuses, 6 machines à couper à l’emporte-pièce, 28 presses à bras, 8 machines à fondre qui occupent encore les ateliers et font travailler, avec les ateliers de réglure et de reliure 550 ouvriers dont 120 apprentis.

L’Imprimerie remporte l’adjudication du catalogue de l’Exposition Universelle de Paris de 1889.

Dès 1876 la SSAAL avait attribué à Léonard Danel une médaille d’or en reconnaissance des progrès accomplis par lui dans l’art de la typographie et une médaille de vermeil à son talentueux collaborateur, M. Weber, qui excelle dans la partie typo-chromatique. En 1882 elle récompense encore d’une médaille vermeil un de ses collaborateurs, M. Deligny, habile graveur ; et en 1885 c’est M. Boussemaer qui reçoit la médaille de vermeil de la SSAAL pour son savoir faire des impressions scientifiques.

Signalons la reconstruction en 1875 (après incendie) de nouveaux bâtiments d’imprimerie. Sur le fronton de la nouvelle imprimerie (rue Nationale) sont gravées trois années-clé : 1697 1863 1875 (la première de ces dates sera expliquée plus loin).

Léonard Danel est élu Président de la SSAAL en 1893. Quatre ans après son décès, la SSAAL créera selon son vœu le Grand Prix des Mines – Prix Léonard Danel, destiné à récompenser un « travail relatif au Bassin Houiller du NPDC ». Le prix a été décerné jusqu’en 1988 puis s’est transformé en Grand Prix des Sciences de la Terre .

Ce Léonard Danel a été tout à la fois membre du Conseil Municipale de Lille, Juge au Tribunal de Commerce, Membre de la Chambre de Commerce, En 1867 Napoléon III lui remet à Lille les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur, saluant sa réussite industrielle. En 1883 il est nommé Président du Jury de l’imprimerie et de la librairie à l’Exposition Universelle d’Amsterdam, et à cette occasion est fait Officier de la Légion d’Honneur,  Il sera Commandeur en 1889 à la suite de la visite aux Mines de Lens du Président Felix Faure, Il était en effet co-fondateur et administrateur des Mines de Courrières, Président du Conseil d’administration de la Société des Mines de Lens, enfin Président du Comité des Houillères du Nord et du Pas de Calais.

Représentatif  pour le grand Patronat du Nord impliqué dans le développement industriel, figure légendaire pour tous les lillois, il est reconnu BIENFAITEUR DE LILLE

L’un des secteurs les plus lucratifs est l’important marché des étiquettes qui dépasse les frontières de la France : grâce au savoir-faire de l’impression à la Congrève qui donne des couleurs plus vives et brillantes et un dessin plus net que la lithographie pour l’impression en masse, ses presses à rogner débitent 12 millions d’étiquettes par an, destinées au fil à coudre, aux produits alimentaires, à la parfumerie, aux encres… Cette production publicitaire demande non seulement des couleurs vives mais aussi de l’or et Danel prend plusieurs brevets pour des machines permettant d’appliquer de la poudre de bronze sans trop exposer les ouvriers à la respirer.

En 1871 il se substitue le temps du conflit, à l’Imprimerie Nationale, en imprimant en couleur 43 millions de Billets d’émission de 25 centimes à 20 francs.

L’imprimerie a remporté une mention Honorable à l’Exposition de 1850, une médaille d’or à celle de 1878, un diplôme d’Honneur à l’exposition de l’Union Centrale des Arts Décoratifs de 1882.

Léonard Danel préside l’union des Maîtres-Imprimeurs de France, et il préside en 1896 le congrès qui se déroule à Lille. Lors de l’inauguration le 25 octobre 1896 du Monument à la gloire du Général Faidherbe (Place Richebé, Lille),  Mme Vve Faidherbe est au bras de M. Léonard Danel, l’ami le plus ancien et le plus affectionné de son mari (Léonard et Faidherbe se connaissent depuis l’enfance, ayant, adolescents, fréquenté le même Lycée lillois).

C’est en 1920 que le troisième L., Louis Danel, rejoint la SSAAL (né le 29 septembre 1857, décédé le 12 octobre 1936).   Après ses études à l’Institut Industriel et son diplôme d’ingénieur comme tous les Danel, il a intègré l’imprimerie en 1884, alors dirigée par son oncle Léonard « le grand bienfaiteur ». Sous sa direction sage, prudente et éclairée la maison L. Danel va continuer à prospérer et maintenir sa réputation mondiale pour la qualité technique des travaux qui sortent de leurs presses. Comme jadis son oncle, Louis prend activement part à la vie publique : il sera Juge Suppléant au tribunal de Commerce (1898) puis son Président en 1913, fonction qu’il gardera jusqu’en 1920. Pendant la guerre 14-18 il se montre un modèle de confiance et de courage civique. Après cette époque difficile, en 1918 il sera distingué par le Ministre de la Justice lors de sa visite à Lille et fait Chevalier de la Légion d’Honneur dans une cérémonie se déroulant au Palais de Justice (déjà Avenue du Peuple Belge, détruit en 1962).

Ce L. Danel est appelé à Paris pour diriger la Corporation des Imprimeurs et nommé le 5 juillet 1921 Président de l’Union Syndicale des Maîtres-Imprimeurs de France – et le restera jusqu’en 1935. Il est également Vice-Président du Conseil d’Administration du Comité de la Librairie et Administrateur de la Banque de France. En juillet 1928, il est promu Officier de la Légion d’Honneur au titre du Ministère du Commerce.

Ses connaissances juridiques acquises au Tribunal de Commerce le font désigner comme Président de la Chambre Arbitrale de la Première Région Economique, et, par ses pairs, Délégué au Conseil Supérieur du Travail.

Quand il rejoint la SSAAL en 1920 il participe spécialement aux efforts faits pour reconstituer notre Société, très éprouvée par la guerre, il y remplacera aussi H. Rigaux aux fonctions de Trésorier. Il crée en 1924 le prix Louis Danel « Histoire et Archéologie » dont le premier lauréat sera Paul Parent pour « L’architecture à Lille au 17ème siècle ». En 2020, notre Société a sorti de l’oubli ce prix Louis Danel pour honorer un artiste-artisan, l’éditeur Dominique Tourte, producteur d’une très belle collection de livres d’arts, suite logique à cet enracinement de l’édition dans l’histoire de notre Société.

Poursuivant la succession des  membres de la SSAAL : c’est au tour du 4ème L. Danel, Liévin, de nous rejoindre en 1935. Il est neveu du précédent, né à Lille en 1876, décédé en 1941. Actuellement, nous ne savons de lui presque rien d’autre, si ce n’est qu’il fut aussi Président de la Société Industrielle (fondée par Frédéric Kuhlmann en 1873).

Notre ignorance au 5ème L.Danel, Louis, membre de la SSAAL depuis 1942. Il devra faire face aux dommages de guerre et participera à la renaissance de l’entreprise en 1945 sous le nom de « L’Imprimerie des Petits-fils de Léonard Danel ». A travers la presse on retrouve quelques échos : en 1974 l’imprimerie des « Petits Fils de Léonard Danel » quitte Loos pour la Chapelle d’Armentières,1800 employés et l’édition mensuelle de 200.000 livres par mois sont signalés.

Mais après divers rachats l’entreprise ferme définitivement en 2000.

Ainsi s’achève, après 300 ans d’intense activité industrielle étroitement mêlée à la vie publique lilloise, l’histoire de cette grande Imprimerie familiale.

 

Flash-back : En fait, l’histoire commence en 1698 avec Liévin Danel (né à Salomé en 1676, mort le 12 février 1729), entré à 10 ans dans l’imprimerie lilloise d’Ignace Fiévet, imprimeur du Roi à l’enseigne de la Bible Royale, rue des Malades, (Rue de Paris à hauteur de l’église Saint Maurice).

A 22 ans, le 7 septembre 1698, après la mort d’Ignace Fiévet, Liévin reprend l’imprimerie en épousant l’héritière, Claire Fiévet, nièce d’Ignace. Il détient bien sûr le titre d’Imprimeur du Roi, même enseigne. En 1700 l’établissement est transféré du n°18 de la Rue des Malades à La Grande Place (à deux pas du futur journal futur l’Echo du Nord aujourd’hui La Voix du Nord), dans une maison où l’entreprise va croître et prospérer pendant 150 ans, jusqu’en 1863.

Affichette de chez Fiévet-Danel, Grande Place, Lille, 1707

En 1708 c’est chez Fiévet & L. Danel que fut imprimée, entre mille autres documents, la « Capitulation Militaire de la Ville de Lille ». Le 15 février 1715 Claire Fiévet meurt sans enfant, s’ensuit la rupture de contrat entre Fiévet et Danel et le remariage de Liévin Danel, 13 enfants vont naître.

A la mort de Liévin Danel en 1729, c’est son fils Paul(-Liévin-Joseph), né le 15 mai 1716 qui hérite de l’imprimerie, il en prend la direction en 1747 après le décès de Mme Vve Danel.

En 1767 son fils Albert (Liénard-Joseph), né le 8 février 1759, succéde à son père Paul.

En 1814, l’imprimerie passe dans les mains de Louis(-Albert-Joseph) Danel, fils cadet d’Albert né le 2 mars 1789 et, comme ceux qui suivent l’ont bien vu, Premier L. Danel membre de la SSAAL.

ET AVANT LA SSAAL ?

Selon Jules Houdoy (auteur de « Les imprimeurs Lillois de 1595 à 1700 » B.M. de Lille, cote RU 8-015.093) Lille n’eut pas d’imprimerie avant la fin du XVIème siècle. Mais, poursuit-il, bon nombre de libraires recevaient les livres publiés sur des presses étrangères et les libraires lillois (dont Guillaume Hamelin, mort en 1556) faisaient aussi éditer des ouvrages à leurs frais à Paris, Anvers ou dans les villes voisines,

En principe, seul le Roi de France avait le droit de concéder les brevets d’imprimeurs.

En 1700 Louis XIV demande d’ailleurs à l’intendant de la province de mener une enquête, l’intendant constatera l’existence de 8 imprimeries à Lille dont 4 d’une certaine importance (dont celle de Liévin Danel installée rue des Malades).

 

Nombre d’imprimeurs en France en 1739 : 36 à Paris, 12 à Lyon 10 à Bordeaux et Toulouse, 6 à Strasbourg et Lille, 4 à Dijon, Douai, Orléans et Rennes.