COUP DE CŒUR POUR LOUIS BLANQUART-EVRARD
Parcourant rapidement un livre sur l’histoire de la photographie, on se dit « mais… ! c’est un gars de chez nous !».
De fait, les éminents spécialistes, américains en particulier, parlent avec tant d’éloges de notre compatriote ! Eloges mérités, car notre Louis Blanquart-Evrard est bien l’inventeur du négatif sur papier. Remettons-nous à l’époque. Nous sommes en 1847 au tout début de la photographie où on travaillait encore sur plaques de métal, système compliqué et fragile, réservé à un petit nombre d’initiés. Et voila, subitement que Blanquart révolutionne ce petit monde et en fait un peu le père de la photo moderne (jusqu’à l’apparition récente de la photo numérique).
Qui est donc cet homme du nord, peut être plus célèbre aux Etats Unis qu’en France ? Né à Lille en 1802, ce jeune homme doué pour les arts, se consacre avec passion à l’étude de la photographie sur papier, science alors inexplorée. Il travaille avec Kulhmann dans le laboratoire de l’Ecole de Chimie de Lille depuis 1826 où il remplit les fonctions de préparateur et s’initie à la chimie. Il a 37 ans lors de l’invention du daguerréotype, premier appareil photo permettant enfin de fixer l’image sur une plaque de métal argenté. Mais les progrès vont bon train : d’abord l’anglais Talbot crée la calotypie (photographie négative sur papier, 1841), mais c’est notre Blanquart qui met au point la méthode pour accroître la précision de l’image et l’éventail des tons. Et surtout, il a l’excellente initiative d’ouvrir en 1850 une imprimerie photographique à Loos-lez-Lille où il fait imprimer en peu d’années 23 volumes de photographies réalisées par les plus grands photographes français de l’époque. Notre précurseur ne se doute pas que ces remarquables albums deviendront plus tard des pièces de musée, convoités par les plus grands collectionneurs. Il disparaîtra en 1872.
Il avait fait en 1847 la description de ses « Procédés employés pour obtenir les épreuves de photographie sur papier » devant l’Académie des Sciences à Paris qui l’avait accueillit avec beaucoup de faveur et imprimés ses découvertes in extenso dans les compte-rendu (XXIV, Page 46/117/653, année 1847). « Une commission composé de membres choisis dans le sein de l’Académie des Sciences et dans celui de l’Académie des Beaux Arts étudia elle même les procédés d’exécution de notre lillois pour confirmer la parfaite efficacité en déclarant qu’ils étaient supérieurs à tout ce qu’elle avait vu jusqu’alors en ce genre et conclut en ces termes : M. Blanquart Evrard mérite les éloges et les encouragement de l’Académie. ». (cf. Discours prononcé sur la tombe de M. Blanquart-Evrard le 28 avril 1872 par M. Corenwinder Président de la SSAAL).
On imagine mal aujourd’hui l’impact qu’eurent les publications de notre lillois au milieu du XIX° siècle : pour la première fois l’homme de la rue voyait des photos prises par les voyageurs et explorateurs. Les récits de leurs aventures lointaines mises ainsi en images permettaient au public de voir enfin les pyramides d’Egypte, la Palestine, la Syrie, ou bien les Pyrénées, les bords du Rhin, les Monuments de Paris, la Belgique, les Art Religieux, Architecturaux, la Sculpture, la Peinture… ». La curiosité et le goût des voyages s’emparent alors de bons nombres de lecteurs. Il n’est pas étonnant alors que Blanquart rafle de nombreux prix dont celui en 1853 de New York pour l’ensemble de ses travaux. Lors de l’Exposition Universelle Industriel en 1855 à Paris à deux pas des Champs Elysées, le public a littéralement « dévoré » les 17 volumes des publications de l’imprimerie photographique de Lille, dont 12 volumes d’ouvrages édités par l’exposant lit-on dans les pages du catalogue d’exposition. Blanquart lui-même a donné dans une lettre adressé aux organisateurs de l’exposition quelques précieux renseignements sur son art : « A côté de la photographie des amateurs, il y a l’art d’imprimer par la photographie. Je me présente à l’exposition comme imprimeur-photographe, afin de prouver que cet art nouveau n’est pas une fiction, mais une réalité bien positive, et, qu’aux moyens d’impression déjà connus il faut ajouter un moyen de plus. Je me présente en outre à l’exposition pour faire constater que cet art nouveau et sans précédent est déduit de mes travaux personnels sur la photographie. Je viens donc vous prier de vouloir bien ne pas laisser classer mon exposition dans la catégorie de la photographie, mais de faire admettre les 17 volumes qui composent la partie éditée jusqu’ici de mes publications parmi les produits de l’imprimerie et comme nouveau mode d’impression. »1*
Il n’est pas étonnant alors que Blanquart rafle de nombreux prix dont en 1853 celui de New York pour l’ensemble de ses travaux. Parmi ceux qui l’ont récompensé, figure bien sûr la SSAAL : dès 1851 il en est proclamé lauréat et reçoit une médaille d’or pour ses travaux de photographie des mains du Président, Pierre Legrand. Un an plus tard il est nommé membre puis en 1871 Président à son tour Président à son tour. Il fera de très nombreuses publications dans les Mémoires de la SSAAL dont « La Photographie, ses origines, ses progrès, ses transformations » ; les 46 pages de son exposé sont abandonnement illustrées d’épreuves de paysages, de photos prises dans les musées, de portraits de couples, de scènes champêtres… (Mémoires SSAAL 1869). A la même époque, Blanquart fait un don au Musée Industriel de Lille consistant en une série d’épreuves dont l’ensemble constitue un traité historique et pratiques de l’art de la photographie depuis la plaque miroitante de Daguerre jusqu’aux épreuves tirées sous la presse ou incrustée dans l’émail. (ajoutons que Blanquart était un peintre miniature sur ivoire et émail, technique dans laquelle il excellait).
Il aimait les Beaux-Arts et les artistes, pour preuve sa proposition faite dans la séance du 18 février 1870 : » Considérant que les Membres de la Société qui s’occupent de sciences, d’histoire ou de littérature, trouvent dans l’insertion de leurs travaux dans les Mémoires de la Société un moyen de publicité qui manque, jusqu’ici, aux Membres qui se livrent à la pratique des Beaux-Arts ;
« Qu’il importe de compenser autant que possible pour ces derniers cette inégalité, en leur fournissant par l’exposition ou l’audition de leurs œuvres, les moyens de les faire connaitre, sinon au public, au moins à leurs collègues.
La Société prend la décision suivante :
Il sera établi dans la salle de ses séances un ou deux chevalets permanents, destinés à recevoir les dessins ou tableaux, et plans d’architecte exécutés par les membres de la Société qui désireraient les soumettre à son appréciation.
Lorsqu’il y aura lieu, dans l’intérêt de l’illustration de la Société ou de la réputation de leurs auteurs, ces ouvrages reproduits par la gravure à l’eau-forte, la lithographie, la photographie ou la photogravure seront publié dans les Mémoires avec une notice. »
Conscient de l’importance de son invention, Blanquart-Evrard, avait déjà déposé le 6 septembre 1851 à la Bibliothèque Nationale de France les premières feuilles d’une abondante production, aussitôt suivi par beaucoup d’autres photographes, ainsi est né le dépôt légal pour les auteurs et éditeurs de photographie, celui de l’estampe existant depuis 1642.
Ici, Louis Blanquart-Evrard se remettant de ses travaux…
1* Ajoutons pour la petite histoire que l’Exposition Industrielle Universelle de 1855 a donné l’idée à deux membres de la SSAAL, MM. Auguste-Napoléon Gosselet, médecin (1852), et M. Charles Bachy, agronome (1844), de créer à Lille un Musée industriel. Parcourant à Paris les allées des stands, ils ont trouvé nombre d’exposants, anglais, allemands, français… disposés à leur céder gratuitement dès la fermeture de l’exposition leurs pièces exposées. L’exploit est détaillé dans la séance du 19 décembre 1856 (Mémoire de 1857).
Vera DUPUIS