Assemblée Générale de la SSAAL. Un Vendredi de Véra. : Le fonds Lefevre de la Bibliothèque Municipale de Lille. Conférence de M. Levasseur :
Finance et Responsabilité sociale des entreprises :
le regard de la recherche académique
Michel Levasseur, Professeur Emérite, Université de Lille et Université catholique de Louvain
Si on se réfère à la pensée de celui qui a largement inspiré la théorie financière de ces 75 dernières années, à savoir Milton Friedman, les questions de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises sont étrangères à la gestion financière. Ne déclarait-il pas : «There is one and only one responsibility of business : to use its resources and engage in activities designed to increase its profits so long it stays within the rules of the game. » En ce sens, il n’est pas évident qu’il y ait une place satisfaisante du point de vue financier pour une politique de responsabilité sociale à l’échelle de l’entreprise au sens où l’entend par exemple la Commission Européenne : « Une entreprise est considérée comme socialement responsable lorsqu’elle se donne, dans le cadre de ses activités quotidiennes, des objectifs sociaux et environnementaux plus ambitieux que ceux prévus par la loi. » Toutefois, force est de constater que la plupart des entreprises cotées en bourse affichent une communication visant à mettre en évidence les efforts particuliers qu’elles déploient en ce domaine. La première question abordée ici est la suivante : ces politiques de RSE sont-elles compatibles avec l’efficacité financière ? Nous nous interrogerons ensuite sur d’autres déterminants qui ne répondent pas à la recherche stricte de la performance financière, comme les ambitions personnelles des dirigeants par exemple. Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur les résultats fournis par des études empiriques récentes publiées au cours de ces dernières années dans des revues scientifiques de premier plan.
1. Un intérêt financier bien compris
Il est courant de définir la valeur d’une entreprise pour ses actionnaires comme la somme des flux de fonds qu’elle sera susceptible de générer à l’avenir, actualisés c‘est-à-dire en prenant en compte le coût des capitaux qu’elle doit mobiliser. Plus simplement, la valeur d’une entreprise augmente quand elle est capable d’améliorer sa productivité et de saisir des opportunités de croissance rentables. Mais elle augmente aussi quand elle peut diminuer le coût de l’argent qu’elle utilise pour financer ses activités. C’est donc en jouant sur ces deux leviers qu’elle accomplit au mieux sa mission au plan financier. Une entreprise dispose d’une panoplie de moyens de financement qui peut être variée mais qui comprend le plus souvent un apport en capitaux propres et un recours à l’endettement. La RSE peut contribuer à l’accomplissement des objectifs financiers d’une entreprise si elle permet de réduire le coût de ses financements.
1.1 Réduire le coût des financements
Deux études récentes abordent la question des effets de la RSE sur le coût des dettes d’une part et sur le coût des fonds propres d’autre part. Le premier effet est plus direct à observer puisque le coût de la dette comprend les intérêts payés et une somme de commissions diverses. Le second est plus délicat à observer. Il ne peut être qu’inféré à partir de l’observation de cours boursiers.
a) Une baisse du coût de l’endettement
On peut penser qu’une entreprise respectueuse de principes éthiques en matière environnementale ou sociale se construit pas à pas un capital de réputation connu des tiers et en particulier des banques qui la finance. Ce capital de réputation est source d’une confiance accrue de la part des prêteurs. Les entreprises privées sont des emprunteurs à risque. Les banques le savent et cherchent à réduire leurs expositions aux plus fragiles. Elles cherchent également à contrebalancer les effets négatifs des pertes qu’elles ne peuvent pas éviter en améliorant leurs rémunérations auprès des clients qu’elles jugent les plus fragiles. Dans le jargon financier, le surcroît de rémunération qu’elles obtiennent relativement au taux qu’elles peuvent obtenir en investissant dans des actifs financiers peu risqués comme des emprunts d’états particulièrement solvables est désigné sous le terme de spread. Kim, Surroca et Tribo (2014) s’intéressent à un échantillon de 513 firmes situées dans 19 pays sur la période 1998-2007 ayant réalisé un total de 2 535 prêts bancaires. Ils montrent que le spread moyen d’un emprunt est dans leur cas de 78,6 points de base (un point de base vaut 0,01%, par exemple quand un taux passe de 1,87% à 1,88%, il augmente d’un point de base). Plus remarquable, ils estiment qu’une augmentation d’un écart‐type du score d’éthique de l’emprunteur à partir de la moyenne correspond à une diminution de 24,8% de ce spread. Etre exemplaire en matière de RSE est donc parfaitement bénéfique au plan financier ! De plus, ils soulignent que lorsque les banques elles-mêmes sont actives en matière de RSE, la baisse du spread est alors de 37,6%. L’effet de confiance est encore plus marqué.
b) Une baisse de la rentabilité exigée sur les capitaux propres
Il est plus délicat d’invoquer la notion de coût des fonds propres. Contrairement aux prêteurs, les actionnaires ne peuvent pas prétendre à une rémunération fixée à l’avance. Leurs droits sont résiduels : ils ne touchent par exemple de dividendes que si l’entreprise réalise des profits et si elle dispose de la trésorerie nécessaire. Ceci étant, la finance ne regarde que le futur et quand un investisseur achète une action, c’est bien qu’il espère réaliser une opération profitable. Cette attente de rentabilité que ne devrait pas décevoir l’entreprise peut être considérée comme une forme de coût : une participation au capital est à la fois un placement pour l’un (l’actionnaire) et un moyen de financement pour l’autre (l’entreprise), ce qui est rentabilité attendue pour l’un est donc coût requis pour l’autre. La participation au capital d’une entreprise, petite ou grande, est toujours aléatoire. La rentabilité n’est pas promise, elle fluctue au gré des performances. On peut raisonnablement penser que plus l’incertitude est élevée, plus en compensation l’attente de performance est grande. Ce lien entre rentabilité et risque est fondamental en finance. Aussi, Ng et Rezaee (2014) l’exploitent dans leur étude portant sur plus de 3 000 firmes américaines entre 1991 et 2013. Leur hypothèse de départ est que l’incertitude qui pèse sur les résultats futurs dépend tout à la fois de facteurs économiques et de facteurs liés à la RSE. Plus la performance économique de l’entreprise prend une forme soutenable sur le long terme, plus son risque est faible. Mais aussi, plus elle adopte un schéma de croissance durable et une performance environnementale et sociale élevée, plus son risque également est faible. Les auteurs attendent par ailleurs une interaction significative de ces deux effets. Ils estiment la rentabilité attendue pour des sociétés cotées en bourse à travers une relation entre les bénéfices et les cours boursiers. Leur étude conforte leur intuition. Selon eux, les firmes les plus fortes en opportunités de croissance et en recherche ont un coût du capital plus faible. Les firmes les plus actives en matière d’environnement et aux meilleures gouvernances ont aussi un coût du capital plus faible. En conséquence, la performance sociale renforce l’effet de baisse du coût du capital pour les entreprises les plus performantes économiquement.
1.2 Un effet positif sur les flux de fonds attendus
Un effet positif de la RSE sur la valeur actionnariale d’une entreprise ne vient pas seulement d’une diminution des coûts de financement. Elle peut provenir aussi d’une amélioration des flux de fonds attendus. A ce niveau, deux effets favorables sont envisageables : des flux espérés plus élevés et un moindre risque sur l’exploitation future.
a) Une espérance de gains plus grande
Il n’est pas facile de mettre en évidence un lien de causalité entre de bonnes pratiques en matière de RSE et un accroissement des performances espérées. Un test qui se bornerait à mettre en évidence une association entre ces deux variables ne permettrait pas de conclure. On ne peut guère dans ce domaine multiplier les expériences en faisant varier le niveau de RSE et en observant directement les effets sur les valeurs. Pour contourner cette difficulté, Deng, Kang et Low (2013) exploitent un cadre empirique original. Ils étudient 1 556 opérations de fusion-acquisition impliquant 801 firmes acheteuses sur la période 1992-2007 aux USA. Lorsqu’une entreprise tente de prendre le contrôle d’une autre, c’est dans l’espoir d’accroître la valeur de cette dernière en exploitant en particulier un ensemble de synergies. Cette création de valeur espérée se reflète dans la hausse du cours boursier de la cible à l’annonce de l’opération. L’idée de ces auteurs est que si la RSE affecte positivement les performances attendues, alors les augmentations des cours des cibles au moment de l’annonce doivent être plus marquées quand l’indice de RSE de l’acquéreur est plus élevé. Concrètement, ils mesurent ces changements de valeur à travers la performance du cours de la cible entre la veille et le lendemain de l’annonce de l’opération, en ajustant cette variation des effets du mouvement général du marché. Au plan méthodologique, il reste que l’observation d’un lien entre l’importance de ces variations corrigées de cours (ou encore dites rentabilités anormales) et l’indice de bonne pratique de RSE ne permettrait en rien de conclure sur un éventuel lien de causalité. Les deux pourraient dépendre d’un même facteur latent qui les ferait varier dans le même sens. Par exemple, les firmes les plus grandes auraient une faculté plus grande de mettre en œuvre de bonnes pratiques de RSE et auraient aussi accès aux acquisitions les mieux remplies en synergies potentielles, sans qu’il y ait le moindre lien entre la RSE et ces dernières. Pour contourner cette difficulté, les auteurs exploitent un lien entre le niveau de pratique en matière de RSE et un facteur parfaitement exogène à la qualité des opérations de fusion-acquisition. Ils utilisent comme premier « instrument » l’intensité de la pratique religieuse dans l’état où la firme a son siège social et comme deuxième la couleur politique dominante dans cet état. Ils génèrent ainsi un indice de RSE estimé qui fluctue dans l’échantillon en fonction uniquement de l’une ou l’autre de ces variables exogènes. Ce faisant, ils montrent que la création de valeur à court terme pour les actionnaires est plus élevée quand la firme acquéreuse a un indice élevé de RSE. Ils complètent leur étude en mettant en évidence que les firmes à RSE élevée améliorent plus fortement les rentabilités à long terme des firmes acquises.
b) Un risque plus faible de crash
L’exploitation courante au sein d’une entreprise recèle parfois des risques extrêmes. On peut rappeler à titre d’exemple les pertes colossales enregistrées par BP lors de la catastrophe qui s’est produite dans le golfe du Mexique. Le crash boursier est un élément de risque important pour les investisseurs lorsqu’ils composent leur portefeuille. On peut penser que les entreprises actives en matière de responsabilité sociale sont aussi les plus prudentes dans la gestion de leurs opérations et de ce fait exposent moins leurs actionnaires à des vicissitudes extrêmes. Kim, Li et Li (2014) testent dans leur étude une première hypothèse, à savoir qu’un indice de RSE élevé est un signal fort de risque de crash faible. Mais, la question ne s’arrête pas là. L’information concernant la responsabilité sociale de l’entreprise n’est qu’un volet de l’information financière donnée par l’entreprise. Elle peut même servir d’alibi et de cache misère. Dans ce cas, et c’est la deuxième hypothèse testée par les auteurs, ce serait les firmes les plus exposées à de gros risques qui seraient les plus actives en matière de communication sur la RSE car elles chercheraient à les dissimuler ainsi au marché. Pour mesurer le risque de crash, les auteurs recourent à une statistique propre à la distribution des variations de cours boursiers. La présence de chutes brutales de cours se traduit sous la forme d’une asymétrie négative de ces distributions (présence anormalement élevée de fortes variations négatives). Munis de cette mesure, ils s’attachent à estimer le degré d’association entre ce coefficient d’asymétrie, mesure de risque de crash, et les indicateurs de RSE. Leur échantillon comporte 12 978 observations et porte sur deux périodes haussières (1995-1999 et 2003-2007) et deux périodes baissières (2000-2002, éclatement de la bulle internet et 2008-2009, la grande crise). Ils montrent que la qualité de la RSE est associée à une fréquence moindre de crash et que cet effet est plus marqué pour les entreprises à gouvernance faible. Par ailleurs, ils complètent leur analyse en soulignant que les dirigeants des entreprises vertueuses en matière de RSE ont moins tendance à cacher les mauvaises nouvelles !
2. Mais aussi le fruit d’autres attentes
Si des dépenses non obligatoires en matière de RSE ne vont pas nécessairement à l’encontre des intérêts financiers bien compris de l’entreprise, il reste à savoir s’ils ne sont pas le fruit de choix effectués par les dirigeants, pour satisfaire non pas seulement leurs actionnaires mais aussi d’autres parties, à commencer par eux-mêmes.
2.1 Des choix effectués par les dirigeants
Un dirigeant d’entreprise est incité à investir dans les domaines de la responsabilité sociale d’entreprise s’il sait que ces activités sont créatrices de valeur et donc favorables aux actionnaires. Est-il motivé par des raisons plus personnelles : satisfaction d’objectifs altruistes et volonté de contribuer positivement à la vie de la société ? Souci de se construire une bonne réputation aux plans professionnel et personnel ? Ou encore obéit-il à des principes forts d’éthique personnelle ?
a) à la poursuite de leurs satisfactions
Borghesi, Houston et Naranjo (2014) ne s’attendent pas à ce qu’une seule raison une puisse jouer un rôle prédominant. La décision de consacrer des ressources à la réalisation d’objectifs de RSE peut être simultanément influencée par plusieurs facteurs. Exploitant un échantillon de 11 711 observations composé de firmes américaines observées entre 1992 et 2006, ces auteurs montrent que les investissements en RSE s’adaptent aux besoins et aux caractéristiques des firmes. En ce sens, rien n’est a priori contradictoire avec une recherche de l’intérêt des actionnaires. Encore que, là où les institutionnels sont les plus forts, l’effet est négatif sur la RSE. En d’autre terme, quand le contrôle et la gouvernance sont plus faibles, quand il y a plus de latitude pour les dirigeants, les dépenses sont plus grandes. Par ailleurs, ils mettent en évidence le poids respectif de diverses caractéristiques des dirigeants dans leur choix en matière de RSE. Ce sont les PDG (CEO) les plus jeunes, femmes, bipartisans au plan politique et sensibles aux médias qui investissent le plus. Ces comportements n’apparaissent pas seulement comme purement altruistes mais elles sont aussi dictées par des intérêts personnels. Plaire aux politiques, renforcer son image dans les médias font partie du tableau.
b) en fonction de leur éthique
Ceci ne signifie pas pour autant que les considérations d’éthique personnelle soient absentes de ces choix. Deux études permettent de fournir un éclairage sur l’impact du niveau d’éthique des dirigeants sur les décisions en matière de RSE. La pratique dite de l’insider trading, c’est-à-dire de transactions par des dirigeants sur les titres de leur firme fait l’objet d’un encadrement légal fort. Elle reste à la source de multiples suspicions d’exploitation d’informations privilégiées au détriment des autres acteurs du marché. Gao, Lisic et Zhang (2014) utilisent une mesure des profits réalisés dans ce cas par les dirigeants principaux (CEO, CFO, COO …) comme indicateur de manquement potentiel à l’éthique des affaires. Leur échantillon comprend 54 487 observations et intéresse 1 276 firmes américaines sur la période 1992-2011. Ils mettent en évidence une association négative entre l’activité d’une entreprise en matière de RSE et le volume de l’insider trading réalisé par ses principaux dirigeants. Par ailleurs, l’association est plus forte quand les dirigeants se prononcent dans les médias ou quand ils sont engagés dans le capital de leur entreprise. Une autre piste pour apprécier le niveau d’éthique des dirigeants est de se tourner sur leurs pratiques en matière de fiscalité. Davis, Guenther, Krull et Williams (2016) s’interrogent : les entreprises les plus actives en RSE sont-elles plus civiques (optimisent-elles moins leur fiscalité) ou au contraire compensent-elles leurs dépenses en RSE par moins de paiements d’impôts ? D’une autre manière, les activités en matière de RSE et les paiements d’impôts sont-ils des compléments ou des substituts ? Au sein d’un échantillon de 5 588 observations effectuées entre 2002 et 2011, les auteurs apprécient les comportements en matière de fiscalité à travers deux mesures : le poids des impôts payés par rapport aux bénéfices réalisés et le montant des dépenses de lobbying engagées pour obtenir une législation fiscale plus favorable. Contrairement à des études précédentes qui soutenaient la thèse de la complémentarité selon laquelle les entreprises les moins civiques sont celle les moins actives en RSE et les plus agressives pour réduire leurs impôts, cette recherche montre que les entreprises les plus actives en RSE sont aussi très agressives fiscalement : les dépenses en RSE et les paiements d’impôts agissent dès lors plus comme des substituts ! En quelque sorte, certaines entreprises préfèrent faire le bien elles-mêmes plutôt que de laisser les Etats le faire …
2.2 Sous influence
Benabou et Tirole (2010) défendent dans un article publié dans la revue Economica la thèse selon laquelle une publication aussi fréquente de rapports en matière de RSE par les grandes entreprises découle d’un comportement pro social délégué de ces dernières à l’avantage de certaines de leurs parties prenantes. C’est cette hypothèse qu’ont testée Di Giuli et Kostovetsky (2014) en retenant comme partie prenante concernée le personnel politique local avec qui bien évidemment les entreprises doivent avoir affaire.
a) des parties prenantes
Les auteurs supposent ainsi que les dirigeants d’entreprise dont la sensibilité politique est démocrate (républicaine) et qui opèrent dans des états démocrates (républicains) dépensent plus (moins) en matière de RSE. Leur échantillon d’étude contient 19 378 observations portant sur 2 963 firmes américaines entre 2003 et 2009. Ils s’attachent à construire un indicateur de la couleur politique dominante (bleue démocrate ou rouge républicaine) en prenant en compte l’environnement interne de l’entreprise (en fonction de leurs contributions aux campagnes électorales faites par les CEO, administrateurs ou encore fondateurs et en fonction aussi du nombre d’entre eux ayant occupé une fonction politique précédemment) et l’environnement externe (suivant les résultats enregistrés aux élections présidentielles, au congrès et au gouverneur dans l’état où la firme a son siège). Ils montrent que les entreprises dont l’environnement politique dominant est démocrate sont plus actives en RSE. Cette relation est la plus forte quand l’entreprise est de taille moyenne, c’est-à-dire quand le plus souvent les liens entre ses dirigeants et le personnel politique local sont plus étroits. Par ailleurs, elles mettent plus en évidence dans leur communication leurs points forts que la réduction de leurs faiblesses, ce qui est certainement plus payant au plan politique.
b) des analystes financiers
Il reste une catégorie d’acteurs qui jouent un rôle important en matière d’influence sur les entreprises, à savoir les analystes financiers. Leur réaction face à des dépenses en matière de RSE peut être positive ou négative, positive s’ils jugent qu’elles sont de nature à mieux valoriser la firme pour ses actionnaires, négative s’ils considèrent qu’elles sont excessives, sous-optimales et finalement contribuant du point de vue des actionnaires à un gaspillage des ressources. Les deux thèses trouvent leur support dans la littérature académique récente.
Pour Boubakri et al. (2016), l’effet est positif. Ils déduisent cette conclusion de l’étude du cas particuliers de sociétés non américaines ayant décidé de se faire coter sur une bourse américaine. Dans ce cas, on peut penser qu’elles sont suivies par des communautés plus diverses d’analystes et d’investisseurs et qu’elles doivent en conséquence respecter des standards plus élevés en matière de RSE si cette dernière est désirable. Leur échantillon contient 10 815 observations portant sur 3 400 firmes non américaines et provenant de 54 pays différents entre 2002 et 2011. Ils vérifient que lorsque ces entreprises étrangères sont introduites (radiées) à la cote d’une bourse américaine, elles maintiennent des scores plus (moins) élevés en matière de RSE. L’effet est plus marqué pour les firmes provenant de pays où la protection des droits des investisseurs est plus faible, c’est-à-dire là où on se soucie moins de la valeur actionnariale. Enfin, il est plus fort pour les firmes opérant dans des secteurs où les risques juridiques sont plus élevés aux USA, là où une plus grande prudence est requise.
Adhikari (2016) soutient une thèse différente. Pour lui, plus d’analystes ne signifie pas plus de dépenses en RSE. Bien au contraire, plus ils sont présents, plus ils exercent une surveillance sur les dirigeants. Ces derniers perdent en liberté, surtout lorsqu’il s’agit de dépenses discrétionnaires qui n’améliorent pas la valorisation boursière de l’entreprise. Un test de causalité est délicat à réaliser. On peut toujours mettre en évidence une simple corrélation entre un nombre d’analystes et un niveau de score en matière de RSE, sans que cela ne préjuge en rien sur l’effet réel de l’un sur l’autre. Il se peut simplement qu’une variable latente affecte et l’un, et l’autre. Pour contourner cette difficulté, l’auteur utilise un cadre pseudo expérimental intéressant. Il repère les cas où des bureaux d’analyse ont disparu soit après fermeture, soit après fusion. Les sociétés qui étaient suivies par un analyste de ces firmes voient mécaniquement le nombre d’analystes les suivant diminuer d’une unité à court terme. Cette chute est totalement étrangère au choix des dépenses en RSE par les firmes suivies. Ainsi, on peut relier avec plus de sureté une hausse éventuelle des dépenses en RSE à la diminution observée d’une unité du nombre d’analystes. L’auteur compose un échantillon qui comprend 278 firmes ayant subi ce phénomène entre 2001 et 2011 (les entreprises exposées au traitement) et 278 firmes aux caractéristiques voisines mais qui n’ont pas connu un tel épisode (les entreprises de contrôle). Il calcule pour chaque population son score moyen avant la disparition d’un analyste et après. L’analyse dite DiD (Difference in Difference) montre que l’écart de score de RSE entre l’échantillon de traitement et celui de contrôle varie fortement. A l’évidence, les firmes subissant moins de regards des analystes voient leur score augmenter beaucoup plus vite que les autres.
Ainsi, Adhikari peut conclure que, si a contrario plus la couverture par les analystes est grande, plus les dépenses en RSE sont faibles, alors les dirigeants ne font le bien qu’avec l’argent des autres … Leur monitoring est utile pour veiller à ce qu’elles ne soient pas excessives et qu’elles n’aient pas d’effets négatifs sur la valeur actionnariale.
Les deux thèses ne sont peut-être d’ailleurs pas exclusives. Il est possible qu’il y ait en matière de dépenses en RSE un optimum du point de vue des actionnaires. Les deux études se situeraient ainsi de part et d’autre de cet optimum.
Conclusion :
Pour finir, nous allons abandonner le point de vue du chercheur qui tente de comprendre les motivations des entreprises à dépenser plus (ou moins) en RSE pour adopter celui de l’investisseur en bourse. Est-ce un bon critère de choix lorsqu’on compose son portefeuille de retenir plus massivement les sociétés qui dépensent le plus en RSE ? Nous retiendrons l’éclairage récent fourni par Humphrey, Lee et Shen (2012). A partir d’un échantillon composé de 256 entreprises britanniques entre 2002 et 2010, ils ont composé des portefeuilles de sociétés à haut indice de RSE. Puis, ils ont comparé leurs performances ajustées pour le risque à celles de portefeuilles composés de sociétés à faible indice de RSE. De manière très décevante, pour les fans de la RSE et plus généralement pour ceux qui sont à la recherche de règles profitables de gestion de portefeuille, ils n’ont trouvé aucune différence significative !
Références bibliographiques :
Adhikari, B. (2016), Causal effect of analyst following on corporate social responsibility, Journal of Corporate Finance, 41, pp. 201-216.
Benabou, R. & J., Tirole (2010), Individual and corporate social responsibility, Economica, 77, pp. 1-19.
Borghesi, R., Houston, J. & A., Naranjo (2014), Corporate social responsible investments: CEO altruism, reputation and shareholder interests, Journal of Corporate Finance, 26, pp. 164-181.
Boubakri, N., Ghoul, S., Wang, H., Guedhami, O. & C., Kwok (2016), Cross-listing and corporate social responsibility, Journal of Corporate Finance, 41, pp. 123-138.
Davies, A., Guenther, D., Krull, L. & B., Williams (2016), Do socially responsible firms pay more taxes?, The Accounting Review, 91, pp. 47-68.
Deng, X.,Kang, J. & B., Low (2013), Corporate social responsibility and stakeholder value maximization: Evidence from mergers, Journal of Financial Economics, 110, pp. 87-109.
Di Giuli, A. & L., Kostovetsky (2014), Are red or blue companies more likely to go green? Politics and corporate social responsibility, Journal of Financial Economics, 111, pp. 158-180.
Gao, F., Lisic, L. & I., Zhang (2014), Commitment to social good and insider trading, Journal of Accounting and Economics, 57, pp. 149-175.
Humphrey, J., Lee, D. & Y., Shen (2012), Does it cost to be sustainable?, Journal of Corporate Finance, 18, pp. 626-639.
Kim, M., Surroca, J. & J., Tribo (2014), Impact of ethical behavior on syndicated loan rates, Journal of Banking & Finance, 38, pp. 122-144.
Kim, Y., Li, H. & S., Li (2014), Corporate social responsibility and stock price crash risk, Journal of Banking & Finance, 43, pp. 1-13.
Ng, A. & Z., Rezae (2015), Business sustainability performance and cost of equity capital, Journal of Corporate Finance, 34, pp. 128-149.